Les classes flexibles sont actuellement à la mode. De nombreux enseignants réfléchissent à l’aménagement de leur salle de classe afin de mettre à la disposition des enfants des espaces de travail variés : ballons de gym, postes de travail debout, plateaux-repas servant de tablette pour écrire en étant assis par terre, caisses retournées devant des bureaux, gros coussins… la liste serait longue des différentes propositions, n’ayant pour limite que le budget disponible et la créativité des enseignants (celle-ci étant souvent bien plus grande que celui-là).
Avec ma collègue Rébecca Gontier, spécialiste en grapho-pédagogie installée en Charente-Maritime, nous avons essayé de répondre aux nombreuses questions que nous posent les enseignants sur la pertinence – ou non – de ces aménagements, du point de vue de l’écriture manuscrite.
Qu’est-ce qu’une classe flexible ?
Avant toute chose, il convient de bien s’entendre sur ce qu’est une classe flexible. Il semble que la définition communément admise soit : une classe flexible est une classe qui propose différents postes de travail, avec des sièges et des supports de natures variées, et qui laisse le choix de leur poste de travail aux élèves.
Ce qui revient le plus souvent, quand on lit ou qu’on écoute les témoignages des enseignants qui se sont lancés dans l’aventure, c’est la difficulté de la gestion de la classe. Laisser les élèves choisir et déterminer eux-mêmes quel poste de travail correspond à leur besoin, c’est bien beau en théorie. Mais en pratique, on est confrontés à toutes sortes de problèmes concrets : les enfants ne savent pas forcément choisir ce qui est le meilleur pour eux, mais choisissent l’équipement qu’ils trouvent le plus joli, ou qui est valorisé par les autres. Ils cherchent à être à côté de leurs meilleurs amis. Du coup, on organise des rotations, mais ces rotations ont pour conséquence immédiate que l’enfant n’est plus sur un poste de travail qui lui convient, mais sur celui qui lui est assigné parce que c’est son tour.
Les différents postes de travail n’ont pas le même degré de confort. Les postes de travail debout, par exemple, sont très fatigants et donc ne peuvent pas être utilisés de manière trop prolongée par les élèves. Il en va de même des postes de travail assis par terre – la position en tailleur peut vite devenir très inconfortable.
Les changements de postes de travail doivent être bien organisés : sinon, ils peuvent être source de bruit et d’agitation au sein de la classe, voire de conflits entre enfants.
Finalement, Josiane Caron-Santha, ergothérapeute québécoise, suggère aux enseignants qui voudraient adopter la classe flexible de commencer avant la rentrée par faire une formation préalable sur l’évolution posturale normale de l’enfant. Ensuite, après avoir commencé la classe, elle leur suggère de mener une observation, élève par élève, durant un mois, avec un tableau permettant de vérifier l’efficacité de chaque poste de travail pour chaque élève, avant d’attribuer un ou plusieurs postes possible à chaque enfant. Il va sans dire que la flexibilité demande à l’enseignant, dans ce cas de figure, une implication extrêmement importante et une grande charge de travail. L’ergothérapeute rappelle qu’un jeune enfant n’a en aucun cas la maturité pour être capable de déterminer lui-même ce qui lui est le plus bénéfique.
Un mobilier diversifié :
Il est difficile de faire la liste de toutes les solutions proposées dans le cadre de la classe flexible, tant c’est la variété qui domine. En gros, on voit quatre types d’équipements :
- des sièges, plus ou moins innovants, devant des tables
- des systèmes permettant de s’installer pour écrire par terre, avec ou sans coussin ou tapis
- des plans de travail debout
- des fauteuils, poufs ou autres, complétés par des tablettes pour écrire
Il existe du mobilier spécialement conçu pour ce genre les classes flexibles, comme le Z-tool, qui est une sorte de tablette reliée à une assise : on stabilise la tablette en s’asseyant sur la partie basse. Cet outil est présenté sur le blog « Mais que fait la maîtresse ? »
La caractéristique commune de tous les sièges, c’est qu’ils ne peuvent jamais être adaptés à la taille de l’enfant. A la différence d’un bureau individuel, qui peut être réglé en fonction de la taille de l’élève, on a des équipements standardisés, auquel les enfants doivent s’adapter vaille que vaille.
L’assise sur gros ballon semble intéressante, dans la mesure où elle oblige l’enfant à rechercher une posture verticale par une série de micro-aménagements de sa posture, ce qui renforce sa musculature. Mais s’asseoir sur ce type de ballon ne convient pas à tous les élèves. Selon Sonya Côté, ergothérapeute au Québec, certains enfants sont agités en raison d’une surcharge sensorielle. Le ballon ne fera alors que leur offrir une stimulation supplémentaire qui nuira à leur attention. Ces ballons permettent aux hanches de bouger et soulagent le rachis lombaire. Mais écrire en bougeant les hanches et donc le tronc devient périlleux pour l’enfant qui va alors dépenser une énergie conséquente pour stabiliser ses appuis et optimiser la mobilité de ses doigts. Il convient donc de proposer le ballon pour des situations d’écoute, de travail en groupe mais de revenir à la chaise lorsqu’il s’agit de rédiger, de copier un texte, ou d’être en séquence d’apprentissage de l’écriture.
S’asseoir par terre semble très apprécié des enfants. Cependant, par terre, l’enfant ne peut pas adopter une posture stable et dynamique en même temps. Il n’a pas de points d’appui stable pour ses jambes, ce qui rend plus difficile la précision dans ses gestes fins : occupé à trouver une posture confortable, il dissocie moins bien les mouvements fins de ses doigts, surtout avant l’âge de 9-10 ans.
On voit d’ailleurs bien sur la vidéo présentant le Z-tool que l’enfant cherche une posture confortable, sans véritablement la trouver. Son genou droit vient en butée sur la tablette, en recherche de stabilité. Sa main gauche s’accroche, toujours pour assurer la stabilité de la posture puisque ses jambes ne peuvent pas soulager son dos. Je doute qu’il puisse écrire longtemps dans cette position sans ressentir de douleurs cervicales.
Les plans de travail debout ont tout d’abord été proposés pour… lutter contre l’obésité des enfants. Au lieu de leur proposer des temps d’activités libres suffisants, entre autres en extérieur, et de les protéger de la surexposition aux écrans, on a imaginé de les faire rester debout durant le temps scolaire pour leur faire dépenser des calories. Les premières études ont montré que le fait d’être debout… ne nuisait pas directement aux résultats scolaires.
Il est à noter que certains enseignants utilisent les espaces de travail debout pour y envoyer temporairement un enfant agité, manifestant clairement le besoin de se dépenser physiquement. Cet usage nous semble particulièrement approprié : plutôt que d’éloigner un enfant agité de la classe, lui proposer un poste de travail debout, de manière provisoire, pourrait être une excellente solution.
Les fauteuils, poufs et autres assises molles et confortables sont très agréables pour lire. Par contre, ce genre de siège n’est pas adapté pour écrire, en particulier pour les enfants de moins de 9 ans, qui n’ont pas encore automatisé le geste graphique. Contrairement aux postures assises à terre, elles peuvent être très confortables, mais favorisent des postures en rétroversion du bassin, peu efficaces pour l’écriture et ne donnant pas aux élèves la stabilité nécessaire pour libérer leur geste graphique. De plus, les petits supports proposés – généralement des tablettes ou des petits plateaux – sont souvent trop petits pour permettre aux enfants d’installer confortablement leur cahier. En tout cas, il n’y a pas la place pour mettre à la fois un cahier et un livre, ce qui interdit de faire un exercice de manuel scolaire !
Avant 9 ans, pour installer l’écriture manuscrite et l’automatiser il faudra donc proposer à l’enfant des situations d’écriture assis sur une chaise adaptée à sa taille, ses pieds touchant le sol, ainsi qu’une table également à sa hauteur. Toute autre posture en situation d’écriture ne devra être qu’occasionnelle.
De l’importance du tableau
Dans les propositions de classe flexible, le tableau noir semble peu utilisé. Cela pose la question du modèle qui est proposé à l’enfant, en particulier lors des activités écrites. On vient de voir que bien souvent, la tablette sur laquelle il doit écrire est trop petite pour supporter à la fois le cahier et un manuel. Où est donc le modèle ?
Si le modèle est au tableau, se pose la question de la position du poste de travail par rapport à ce tableau. En effet, on a vu de trop nombreux enfants ressentir des douleurs cervicales à cause de classes installées en îlots ou en U, qui les obligent à se tordre le cou pour lire ce qui est écrit au tableau.
On voit de nombreux problèmes optomoteurs apparaître lorsque l’élève ne peut pas, sans changer de posture, voir le texte avec son œil dominant et écrire dans une position confortable. Il n’est pas rare qu’un simple changement de place par rapport au tableau améliore spectaculairement l’écriture d’un enfant qui, tout simplement, voyait mal ce qu’il devait copier ou adoptait une posture inconfortable.
Une posture… flexible : pour écouter, pour lire ou pour écrire
La question qui finit par se poser est celle des activités qu’un enfant fait en classe. Nous ne pouvons qu’approuver grandement toute innovation permettant aux élèves d’être plus actifs et de mieux apprendre grâce à la possibilité de bouger qui leur est offerte.
A notre sens, il faut toutefois distinguer trois postures différentes, qui n’ont pas les mêmes exigences :
- la posture pour écouter, qui peut très bien être dans un fauteuil, sur un pouf, sur un tapis, allongé par terre…
- la posture pour lire, qui nécessite un support confortable pour le livre, à une bonne distance des yeux, mais pas une assise particulière.
- la posture pour écrire, qui exige des appuis stables, une table de taille suffisante, dans l’idéal inclinée, une assise ferme et la possibilité de voir le modèle sans faire d’effort.
Il semble très important que l’enseignant explicite ces différentes postures en début d’année et qu’il invite les élèves à les adopter en fonction de la tâche proposée.
Et à la maternelle ?
On parle beaucoup de la posture d’écriture à l’école élémentaire. Mais qu’en est-il durant les années d’école maternelle ? La question nous paraît cruciale car dans ces premières années d’école, la posture de l’enfant impacte grandement la qualité des manipulations dans la main. La stabilité de la posture lui permet de mieux se concentrer sur les tâches de manipulation et moins sur ses réajustements posturaux.
Bien souvent, la classe flexible est de fait une réalité dans les écoles maternelles : il est rare que chaque enfant ait sa place attribuée, avec un bureau réglé à sa taille pour pouvoir s’installer lors des activités graphiques. La classe fonctionne par ateliers et les enfants s’asseyent en fonction de l’activité proposée.
Cela pose le problème des différences de tailles importantes entre les enfants. Il pourrait être intéressant de proposer, pour certains élèves de petite taille, des coussins pour l’assise et des repose-pieds pour qu’ils puissent adopter une posture confortable lors des activités sur feuille mais également pour toutes les tâches de manipulation.
Revenons à du bon sens : si l’on souhaite travailler en classe flexible, il faut proposer à l’enfant qui écrit un poste de travail ergonomique car l’effort musculaire déployé pour compenser le poste de travail mal ajusté s’avère épuisant.
Qu’est-ce qu’un poste de travail ergonomique ?
- Une chaise à la bonne hauteur : les pieds de l’élève doivent toucher le sol pour assurer de bon appuis et une stabilité du tronc. Un repose-pied permet de donner un appui stable sous les pieds lorsque la chaise et/ou la table ne sont pas réglables en hauteur.
- Une table à la bonne hauteur : pour soulager les cervicales et les yeux. Pour régler la table, il suffit de faire asseoir l’élève sur une chaise et lui faire mettre les mains aux épaules, ses coudes doivent arriver au niveau du plateau de la table.
- Une table légèrement inclinée (10 à 15°) qui favorise une posture redressée et un meilleur contrôle visuel pour la lecture mais aussi l’écriture. Il existe des petits pupitres à poser sur les tables. Une astuce consiste à glisser un grand classeur fermé sous le cahier pour obtenir un plan incliné
- Une table face au tableau.
Vous pouvez vous référer à l'article de Célia Cheynel, directement destiné aux élèves : "Je me tiens correctement".
Conclusion
La classe flexible avec sa diversité de supports semble être vraiment intéressante à partir du collège, à l’âge où les élèves ont automatisé l’écriture manuscrite et peuvent désormais écrire dans toutes les positions. La diversité des supports et des lieux de travail n’est plus un frein éventuel à l’apprentissage de l’écriture et se révèle alors être source de motivation pour le travail scolaire. Comme dans beaucoup de domaines, la contrainte imposée à l’apprenti, celle d’être assis à une table et une chaise ajustées à sa taille pour écrire dans les classes du primaire, permettra au même apprenti de s’extraire de cette contrainte et d’écrire par la suite dans toutes les positions (ou presque !). Pour les plus jeunes, cela pose question : il faut vraiment accorder une attention particulière aux situations d’écriture dans une classe flexible de primaire et conserver des lieux dédiés à l’écriture avec du mobilier ajustable à la taille de chacun. La même question se pose dans n’importe quel type de classe d’ailleurs !
Pour conclure, nous voudrions vous conseiller la lecture de l’excellent article d’Eloïse Bachmann et Gisèle Corminboeuf, ergothérapeutes au Centre lausannois d’ergothérapie, qui rappelle que la posture est un facteur essentiel qui structure et organise le développement des prérequis sentori-moteurs afin d’obtenir une écriture fluide et de qualité. En effet, une posture assise stable et dynamique donne accès aux conditions nécessaires pour une organisation motrice performante face aux activités de motricité fine, visu-motrices et au graphisme.
article d'E. Bachmann et G. Corminboeuf