Un joli plaidoyer pour une éducation en phase avec l'école
Guillemette Faure et Louise Tourret, journalistes respectivement au Monde et à France Culture, se sont posé une question toute simple : "Pourquoi les enfants de profs réussissent-ils en moyenne mieux que leurs petits camarades, y compris de niveau socio-économique égal ou supérieur ?" Elles ont constaté que ce "privilège" tient plus souvent à des attitudes parentales et familiales qu'à autre chose. Et ont tenté de mettre ces attitudes à la portée de tous.
Un livre optimiste et léger
Á la lecture du titre, j'ai craint qu'il ne s'agisse d'un énième essai à charge contre les enseignants, expliquant que parmi leurs nombreux privilèges indus (sécurité de l'emploi, salaire mirobolant, vacances interminables, métier facile, et j'en oublie) ils se rendaient coupables de délits d'initiés, privilégiant leur propre progéniture au détriment des enfants des autres. Je pense que les charges anti-enseignants sont tellement nombreuses et virulentes ces derniers temps que mon regard était spontanément inquiet.
Bien au contraire, ce petit livre au ton léger et très accessible analyse les raisons de la réussite des enfants de profs, conclut que ce sont de bonnes attitudes éducatives et essaye de les mettre à la portée de tout un chacun.
Voici un livre qui ne dénonce pas, ne culpabilise pas, mais se contente de raconter des parcours et de donner des conseils de bon sens. Le message est simple : si les enfants de profs réussissent mieux, c'est que leurs parents ont des attitudes que nous allons décortiquer pour vous, afin que vous puissiez adopter les mêmes et faire réussir mieux vos propres enfants.
Des conseils de bon sens
Cela peut sembler évident : un enfant qui n'entend pas ses parents et leurs copains dire du mal des enseignants tous les dimanches, à l'apéro, aura plus de chances de respecter ses professeurs. Un enfant de CP qui est au lit les veilles de jours d'école à 20 h apprendra mieux à lire que celui qui regarde le film tous les soirs dans sa chambre jusqu'à 22 h 30. Un enfant en qui on croit réussira mieux qu'un enfant qu'on rabaisse tout le temps. Et un enfant à qui on dit, le jour de la rentrée, "C'est chouette, tu vas avoir un nouveau maître ou une nouvelle maîtresse et apprendre plein de nouvelles choses, tu dois être content" aura sans doute une projection plus positive sur l'école que celui à qui on dit, même sur le ton de la plaisanterie "Alors, c'est la rentrée ? Finie la liberté, mon pauvre, je compatis".
Les autrices mettent aussi en avant la plus grande disponibilité des parents et le fait qu'ils comprennent mieux le système scolaire, puisqu'ils le connaissent bien. Et conseillent à leurs lecteurs de s'en inspirer, ce qui n'est pas forcément évident à faire.
Le capital culturel
Évoqué en filigrane à propos des lectures en famille, des visites de musée ou de la pratique d'un instrument de musique, le capital culturel joue bien entendu un rôle crucial dans la réussite scolaire des enfants d'enseignants. La continuité entre le monde de l'école et celui de la maison est également évoquée. Les parents enseignants comprennent ce qui se passe en classe, ont plus de facilité à décrypter le discours de leur enfant. Ils ne vont pas forcément prendre pour argent comptant tout ce que celui-ci raconte sur ses propres profs. Et les enfants de profs ne sont pas dépaysés en arrivant à l'école, puisqu'ils viennent d'une maison où les valeurs sont les mêmes.
Les parents enseignants ne refont pas la classe à la maison, mais ils ont l'habitude d'avoir une attitude pédagogique permanente. Ainsi, ils se saisissent, sans effort, de chaque moment de la vie quotidienne pour en faire des moments d'apprentissage. Lorsque les autrices conseillent aux parents de "faire appel aux apprentissages dans le quotidien", cela peut sembler compliqué à mettre en œuvre pour quelqu'un dont le métier serait d'être vendeur de vêtements ou conseiller financier. Familiers des processus d'apprentissages, les enseignants prennent le temps de répondre aux questions de leurs enfants, de rebondir dessus, de leur proposer des entrées supplémentaires... Un enfant qui demande "Pourquoi la Lune brille alors que c'est la nuit ?" et à qui on répond en montrant un schéma cherché sur internet, puis qui reçoit à son anniversaire un livre pour enfants sur l'astronomie et qu'on emmène dans la foulée à la Cité des Sciences aura de grandes chances de cultiver son intérêt pour la question. Encore faut-il avoir toutes ces ressources à disposition, et l'idée de les exploiter.
Les devoirs et la présentation
Le livre insiste beaucoup sur les devoirs à la maison pour dire que, contrairement à une idée fort répandue, les profs n'y sont pas plus attentifs que les autres parents. Ils savent que leur rôle est tout à fait secondaire dans une scolarité et qu'ils servent surtout à favoriser l'autonomie. Les enseignants n'ont bien souvent aucune envie de refaire l'école à la maison le soir et se contentent d'encadrer les devoirs de loin. Mais leurs enfants savent qu'ils sont disponibles et qu'ils peuvent les aider en cas de besoin. Les profs ont moins tendance que les autres à faire appel aux cours particuliers. Non pas parce qu'ils sont compétents dans toutes les matières, mais parce qu'ils comprennent comment le travail scolaire fonctionne. Parfois, il est plus utile de dire à son enfant : "On te demande de calculer telle surface à partir de telles données, regarde. Tu es sûr que tu n'as pas appris une formule aujourd'hui qu'on te demanderait d'appliquer ?" que de lui expliquer le calcul de l'aire du trapèze - dont on ne se souvient pas forcément si on est instit en maternelle ou prof de musique.
Un passage a tout particulièrement attiré mon attention de graphopédagogue : "Les parents enseignants conseillent naturellement à leurs enfants d'être soigneux dans la présentation de leurs devoirs, car il savent qu'ils y sont les premiers sensibles. S'appliquer dans son écriture, c'est respecter celui qui lira leur travail, apprennent-ils à leurs petits". Effectivement, les enfants d'enseignants sont surreprésentés dans les cabinets de graphopédagogie : s'ils n'arrivent pas à aider leur enfant à bien écrire, les enseignants, encore plus que les autres parents, cherchent de l'aide car ils savent qu'une écriture illisible ou une mauvaise présentation peut desservir les élèves à tous les niveaux.
Il est à noter que, là encore, les frontières entre éducation familiale et enseignement en classe sont poreuses : les enseignants du primaire qui m'amènent leurs enfants en profitent presque systématiquement pour rechercher des idées afin d'aider leurs élèves en classe !
Á la recherche de la bonne éducation
Finalement, le propos du livre est de dire que si les enfants de profs réussissent mieux, c'est grâce à toutes sortes de petites choses que les enseignants, dans leur majorité, font au quotidien de manière plus ou moins naturelle. En d'autres termes, si leurs gamins réussissent mieux que les autres, c'est qu'ils sont mieux élevés !
Ce constat est très agréable à lire pour une enseignante, car il semble attribuer la meilleure réussite de nos enfants à nos mérites plutôt qu'à nos privilèges. Et il est très tentant de dire aux autres parents : "Faites comme nous" ! Un peu d'honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que la transmission du patrimoine culturel ne se décrète pas et qu'adopter le mode de vie d'un prof n'a rien d'évident.
Pour ne donner qu'un exemple, les enfants de profs ont bien souvent tété la lecture avec le lait de leur mère, puisqu'elle tournait les pages en les nourrissant. Et ils grandissent dans des maisons pleines de livres et de journaux. Ce rapport intime aux livres et à la lecture ne peut pas se mimer dans le seul but de donner des modèles aux enfants. On transmet ce qu'on est, pas ce qu'on veut...
Cette réserve émise, on peut penser que les lecteurs de l'ouvrage sont à même de profiter des conseils dispensés à la fin de chaque chapitre. A titre d'exemple, voici ceux qui suivent le chapitre sur l'orientation. Que du bon sens, là encore ! Mais le bon sens n'est pas toujours la chose au monde la mieux partagée...