Les homophones grammaticaux sont incontestablement une difficulté de la langue française. Leur enseignement n’est pas nouveau ; selon la chercheuse Christine Tallet, « [ils] ont toujours été un objet d’enseignement et d’apprentissage scolaire », et les manuels des XVIIIe et XIXe siècle leur accordaient déjà une place importante.
Cacographie (texte à corriger) du Manuel de l’orthographiste de F. Trémery, 1833
Présents dans les programmes scolaires – à divers degrés – depuis 1977, ils en ont disparu en 2018, mais force est de constater qu’ils continuent à semer la pagaille dans les écrits des élèves.
En plus de confusions bien connues, du type a / à, ou / où, et / est, il est commun d’en rencontrer de plus spectaculaires, telles que « ce sont c’est enfants », ou encore « je me suis m’y à rire ». Ces erreurs gênent bien entendu beaucoup la compréhension du texte écrit. Dans ces exemples, les élèves n’intervertissent pas deux noms, comme fois et foie, ou verre et ver. Ils confondent un pronom et un verbe, ou même une construction « sujet + verbe » avec un déterminant seul. Cela révèle des lacunes en matière de conscience grammaticale, voire de segmentation des mots. Autrement dit, ces élèves – très nombreux – ne maitrisent pas vraiment le fonctionnement de notre langue et de sa syntaxe. Partant, il n’est pas très étonnant que certains d’entre eux rencontrent également des difficultés à s’exprimer clairement à l’écrit.
S'il apparaît essentiel d’adresser ce problème, il faut aussi s’assurer que le remède ne soit pas pire que le mal.
Fausse catégorie et vrai fourre-tout
A/à, et/est, là/la, n’y/ni… Toute tentative de recensement des homophones grammaticaux s’apparente à un inventaire à la Prévert. Comme on a commencé à le voir, ces listes regroupent pêle-mêle des adverbes, des déterminants, des verbes conjugués, des prépositions, des conjonctions, des pronoms… et parfois même des agrégats de mots, comme l’a ou n’y, qui n’ont aucun sens en dehors d’une phrase construite. Les étudier en tant qu’unités apparait a priori aussi arbitraire que de consacrer une leçon de grammaire à et lui sont ou m’appelez, ce qui ne viendrait pourtant à l’idée d’aucun enseignant.
Les homophones grammaticaux sont donc un vaste fourre-tout, qui ne correspond à rien hormis des suites de sons similaires, et que l’on peut de surcroit toujours enrichir. Si on travaille sur le à/a, par exemple, pourquoi ne pas y ajouter le ah ? En suivant cette logique, on se retrouve bientôt avec des listes de plus en plus longues et absurdes, telles que ses / ces / c’est / sait / sais…
Il est vrai que, dans la majorité des cas, les enfants n’écrivent pas ah pour a, sans même avoir eu besoin d’apprendre la différence, tout comme ils ne confondent pas la semaine avec il se mène (à la baguette). Mais il est très probable que s’ils étudiaient ces différences en classe, certains commenceraient à se tromper, car il y a bien ici une histoire de poule et d’œuf.
L’origine des confusions
L’apprentissage des homophones grammaticaux selon des listes d’opposition apparaît en effet au moins en partie responsable de ces erreurs. En rapprochant deux mots qui n’ont rien à voir entre eux, on les associe à coup sûr dans l’esprit de l’élève. Même s’il ne le faisait pas précédemment, celui-ci convoquera désormais les différentes graphies à chaque fois qu’il entendra le son en question dans une phrase, et devra prendre le temps de choisir la bonne.
Les très populaires textes à trous contribuent à cimenter cette approche. Les exercices type « textes à corriger » sont encore plus problématiques, puisqu’ils exposent l’enfant à des graphies fautives, au risque de les graver dans sa mémoire.
Souvent, les exercices ciblés sont réussis sans encombre, l’enfant se contentant d’appliquer mécaniquement la règle qu’il vient d’apprendre. Cependant, les confusions perdurent dans les phrases créées spontanément. Confrontés à une tâche coûteuse sur le plan cognitif, certains élèves ne prennent tout simplement pas toujours le temps de la réflexion et s’en remettent au hasard. Concentrés sur le sens de la phrase, ils évacuent la contrainte orthographique. Consciemment ou non, ils savent qu’avec à ou a, ils ont une chance sur deux de tomber sur la bonne réponse, et choisissent l’un ou l’autre en espérant avoir bon.
A opposé, certains enfants vont appliquer consciencieusement les trucs qu’on leur a donnés pour ne surtout pas se tromper. S’ils réussiront un peu mieux, cette approche nécessite une vigilance constante qui ne tolère pas le moindre relâchement d’attention : n’étant pas dérangés instinctivement par la lecture d’une phrase comme « Catherine à mangé son goûter », ils devront se souvenir à chaque fois de vérifier l’orthographe a/à. Plus embêtant, les stratégies de substitution dont il se servent peuvent les induire en erreur au lieu de les guider.
Les stratégies de substitution et autres « trucs » : une fausse bonne idée ?
Extrait du BLED, Cours d’orthographe CE-CM, 1979
S’il existe des stratégies de substitution pour à peu près tous les homophones, la plupart d’entre elles peuvent donner lieu à des erreurs et confusions.
Ma collègue Yvette Aboukrat donne ainsi l’exemple d’un enfant écrivant « la machine a laver », après avoir vérifié qu’on pouvait dire « la machine avait lavé ». De même, certains expliquent aux enfants que ce, contrairement à se, peut être remplacé par le. C’est oublier que ce n’est pas uniquement un déterminant, mais aussi un pronom. Dans des phrases telles que Ce n’est pas mon problème, la substitution proposée est impossible. De même, apprendre qu’on écrit se avant un verbe ne prend pas en compte le cas de formulations telles que pour ce faire.
Parfois, ces stratégies sont même complètement inefficaces, comme dans le cas de ses ou ces, qui peuvent tous les deux être remplacé par les sans que la phrase semble étrange – même si elle change légèrement de sens.
Enfin, l’accumulation de trucs mal assimilés peut avoir un effet contre-productif. L’enfant retient la « formule magique » avec beaucoup de bonne volonté, mais ne sait plus s’il doit mettre à ou a lorsqu’il peut remplacer par avait, et se retrouve donc de retour à la case départ. Parfois, il oublie même la raison de la substitution. Je constate cela tous les jours au cabinet. Lorsque je demande à mes nouveaux élèves quelles sont leurs stratégies d’orthographe, ils me disent souvent, de manière tout à fait décontextualisée « je dois remplacer par avait » ou « je dois remplacer par mordu » tout en étant incapables de m’expliquer dans quel cadre, ou dans quel but. Si les stratégies de substitution peuvent s'avérer pertinentes lorsqu’elles sont bien utilisées, elles ne sont donc aucunement une solution miracle.
Quelle alternative ?
De nombreux enseignants s’accordent sur l’importance de ne jamais étudier les homophones en opposition, pour éviter de les associer dans l’esprit des élèves. Les textes à trous et exercices présentant des graphies fautives doivent donc être abandonnés, et avec eux, l’idée d’étudier les homophones en tant que catégorie. Leur disparition des programmes en 2018 semble d’ailleurs aller en ce sens.
A la place, il apparaît essentiel de développer la conscience grammaticale des élèves, en replaçant chaque mot dans le contexte de la famille auquel il appartient. Ainsi, il est bien plus pertinent de les familiariser progressivement avec les conjonctions de coordination et/ou/ni, les déterminants possessifs son/sa/ses (auxquels on ajoutera plus tard se et s’, qui ont la même racine), les démonstratifs ce/cette/ces/ça/cela, les verbes conjugués, les pronoms y/en, etc.
Les méthodes de lecture ont également un rôle important à jouer dans le développement de cette conscience grammaticale. Elles sont nombreuses à proposer des « mots outils » à apprendre de manière globale. Cela peut s’avérer pertinent dans le cas de quelques mots peu transparents et très courants comme est ou les. Cependant, il me semble bien plus discutable d’apprendre globalement c’est, en expliquant qu’il s’agit d’un mot outil… Alors qu’il ne s’agit même pas d’un mot ! Cela contribue sans doute au moins en partie aux erreurs qu’on retrouve chez des enfants beaucoup plus grands, qui continuent à considérer c’est comme une entité comparable à ses, ou ces, et ne font pas le rapport avec le verbe être.
Méthode de lecture Taoki – on remarquera que certains des mots-outils de cette liste
(le, il, une…), ne présentent aucune difficulté de déchiffrage, ce qui interroge
quant à la nécessité de les mémoriser globalement.
En CP, on s’attachera donc à limiter le nombre de mots outils à quelques incontournables. Un travail sur la segmentation et la transformation syntaxique (c’est / ce n’est / ça n’est / il est…) permettra aussi de créer un terrain propice à la suite de l’apprentissage.
Le Mystérimot : un jeu pour développer la conscience grammaticale
C’est avec ces principes en tête que j’ai décidé de créer, pour mes élèves, un nouveau jeu leur permettant de se familiariser avec les mots qui leur posent souvent problème, et ce d’une manière ne risquant pas d’aggraver leur confusion. Je voulais aussi leur permettre de créer leurs propres phrases. Cela me semble en effet la meilleure manière de les rendre acteurs de la grammaire, ainsi que de lier créativité, sens, et orthographe.
Le Mystérimot fonctionne sur un principe très simple : le joueur doit créer une phrase de son choix, en employant correctement le mot inscrit sur la carte. S’il n’y arrive pas, il peut retourner la carte. Il obtient ainsi deux indices : d’une part, un symbole lui rappelant le sens de ce mot, et d’autre part, un exemple de phrase l’utilisant correctement en contexte. Ainsi, les élèves les plus fragiles peuvent se contenter, dans un premier temps, de calquer une phrase correcte sur l’exemple. Cela les aidera à mémoriser l’emploi du mot en limitant les risques d’erreurs. Pour chaque mot, il existe plusieurs cartes avec des phrases différentes, afin d’éviter que l’enfant ne se raccroche trop à une construction spécifique.
Lorsqu’il s’agit d’un déterminant, le joueur doit aussi jeter le dé pour déterminer si celui-ci doit être utilisé au féminin, masculin, singulier, ou pluriel. Cela permet aux enfants de faire le lien entre les différentes formes d’un même mot.
Ce jeu n’aborde pas les verbes, qui sont étudiés (assez logiquement) lors des leçons de conjugaison. Afin de permettre une progression, et éviter les fameux effets d’opposition, j’ai également créé des niveaux, en essayant de créer des associations pertinentes entre les mots, en fonction de leur sens ou de leur classe grammaticale.
Niveau 1 : mais – ou – et – ni – si
Niveau 2 : son – sa – ses – mon – ma – mes
Niveau 3 : où – là – à
Niveau 4 : ce – cette – ces – ça – ce – c’ – tous
Niveau 5 : on – y – en – tout
Niveau 6 : s’ – se
Un examen rapide de cette liste permettra sans doute aux enseignants de constater qu’elle est loin d’être exhaustive. Les grammairiens lui reprocheront peut-être aussi de manquer de rigueur (si est classé avec les conjonctions de coordination, par exemple, ce qui est techniquement inexact). Cependant, dans un objectif de remédiation, et en accompagnement de leçons de grammaire structurées, ce petit jeu fait ses preuves. Il aide les élèves à faire connaissance avec les mots qui leur paraissaient jusque là très mystérieux, et à se les approprier progressivement et sans douleur.
Vous pouvez retrouver le Mystérimot sous l’onglet ressources utiles – pédagogie de la langue écrite.
Hélène Pierson
Sources
Christine Tallet, Enseignement et apprentissage des homophones grammaticaux du CE2 à la 6e : bilan et perspectives https://journals.openedition.org/pratiques/3011
Catherine Huby, Les homophones grammaticaux http://doublecasquette3.eklablog.com/elementaire-homophones-grammaticaux-a158352510
Catherine Brissaud, Daniel Cogis Comment enseigner l’orthographe aujourd’hui ?, Hatier, 2011.
Cet article a également été inspiré par la formation Simpligram© d'Aurore Ponsonnet, ancienne orthophoniste, ancienne membre du comité d'experts du Projet Voltaire et formatrice en orthographe.