Depuis le printemps, ils étaient annoncés, puis reportés, et finalement ils viennent d'être publiés au Bulletin Officiel : les nouveaux programmes de maths et de français sont arrivés pour les cycles 1 et 2 et devront être appliqués à la rentrée 2025. Pour les autres matières, le site du ministère nous explique qu'on verra plus tard, quand on aura le temps. Dont acte.

Je me suis penchée attentivement sur les programmes de français de maternelle, ou plutôt "d'enseignement pour le développement et la structuration du langage oral et écrit du cycle 1", comme on dit en bon français.

 

On n'est pas là pour rigoler

En lisant ces nouveaux programmes, j'ai tout d'abord eu une impression de sévérité - accentuée forcément par le fait que l'éducation physique, l'éducation artistique et la découverte du monde ont été complètement mises hors champs.

J'ai donc fait une recherche sur quelques mots et leurs dérivés, pour confirmer mon impression. Une recherche sur le mot "imagination" et  le mot "création" ne produit aucun résultat. Le mot "expression", lui, est utilisé à deux reprises : "améliorer son expression orale" et "mots et expressions". Pas du tout pour parler du besoin des élèves de s'exprimer ! Le mot "poésie", utilisé une seule fois, renvoie à la mémorisation de textes. Le mot "invention" est absent, mais on parle d'inventer... des pseudo-mots, pour l'encodage. Aucun mot non plus de la famille de "humour", "amusant", "rire", "drôle", "cocasse"...

Le ton est donné : on n'est pas là pour rigoler, pour s'exprimer ou pour imaginer quoi que ce soit. On est là pour apprendre de manière structurée (22 occurrences), explicite (8 occurrences), efficace (6 occurrences), progressive (18 occurrences) pour mieux mémoriser (26 occurrences).

Je trouve un peu dommage de ne faire aucune place à l'imaginaire, à la créativité ni à l'amusement, alors même que le préambule nous annonce que la priorité est de développer le plaisir d'apprendre. Comment prendre plaisir à l'apprentissage s'il est ardu au lieu d'être amusant et joyeux ? Mais bon, ce n'est peut-être pas le lieu dans les programmes que de rappeler cela, et on peut espérer qu'il est sous-entendu que toute cette structuration et cette mémorisation doit avoir lieu dans la joie et la bonne humeur !

 

Pédagogie explicite

La pédagogie explicite, c'est accompagner pas à pas les élèves dans leurs apprentissages avec une progression structurée et méthodique, allant du simple au complexe. Les programmes se situent clairement dans cette approche : on sait en effet que l'apprentissage par imprégnation, un peu au petit bonheur la chance, a tendance à creuser les écarts entre élèves alors que la pédagogie explicite est plus profitable à tous et réduit les écarts.

J'applaudis donc des deux mains à l'inscription tout à fait claire du temps de la maternelle dans la progression des apprentissages, qui est d'autant plus logique que depuis peu, l'instruction est obligatoire dès l'âge de 3 ans.

L'objectif annoncé est de "préparer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture qui est conduit au cours préparatoire".

Là encore, j'applaudis à cet objectif clairement énoncé : il ne s'agit pas de savoir lire et écrire en sortant de Grande Section de maternelle, mais d'être préparé correctement à cet apprentissage. Il est bien noté d'ailleurs que "plusieurs années sont nécessaires aux élèves pour acquérir les multiples habiletés nécessaires à l'écriture manuscrite" - et on pourrait bien entendu en dire autant de la lecture.

L'acquisition du langage oral et de la syntaxe font l'objet chacune d'un chapitre. Ce n'est pas ma spécialité et je n'y ai rien relevé d'étonnant. Je trouve assez pertinent de donner des repères précis (à condition qu'ils soient bien compris comme étant ce qu'ils sont, des repères, et non vus comme des injonctions aux enseignants) sur la progression des objectifs à atteindre. J'ai juste été étonnée par la mise en avant, en Moyenne Section, du pronom "on" ("On a été chez mamie et on a mangé le gâteau" est l'exemple donné), alors que le pronom "nous" n'est présenté qu'en Grande Section. Il me semble, pour avoir enseigné cinq ans en Moyenne Section, qu'il est profitable de mettre le "nous" en avant le plus tôt possible.

Je trouve d'ailleurs intéressant, en tant qu'enseignant, de s'astreindre en classe, quel que soit notre niveau, à quelques contraintes langagières : utiliser le "nous", prononcer les particules négatives, utiliser le futur simple... ces formes, en voie de disparition, sont présentes dans les textes écrits et il sera précieux pour les élèves de les avoir entendues et assimilées.

J'essayais donc de dire "Les enfants, demain, nous ne pourrons pas aller à la piscine, il y a des travaux" à la place de "Les enfants, demain, on va pas pouvoir aller à la piscine, y a des travaux". Au début, ça fait drôle, et puis on s'habitue ! On rend ainsi service aux élèves, qui auront entendu ces formes le jour où il leur faudra les écrire.

Mais revenons à nos programmes.

 

Une insistance étonnante sur le nom des lettres

Une affirmation étonnante est faite en préambule du chapitre intitulé "Passer de l'oral à l'écrit  se préparer à apprendre à lire".  Après avoir rappelé que les habiletés langagières et cognitives doivent être développées, qu'il faut développer la conscience phonologique et le principe alphabétique, on lit cette phrase : "L'acquisition de la conscience phonologique et du principe alphabétique nécessite de découvrir les lettres : leur nom, leur forme et leur son." C'est moi qui souligne.

J'ai l'impression qu'il s'agit d'une mauvaise réponse à un problème bien identifié. Stanislas Dehaene, le grand spécialiste des Neurones de la lecture, explique bien que la connaissance du nom de la lettre peut gêner l’enfant quand il commence à apprendre à lire - il pourrait lire "effa" au lieu de "fa". On pourrait penser que suite à cette observation les programmes préconiseraient tout simplement d'appeler les lettres par leur son et pas par leur nom, ce qui est bien plus efficace. Mais non ! Ils recommandent de mener les deux apprentissages de front et de travailler pour limiter les confusions inévitables.

Dès lors, on voit apparaître dans les tableaux récapitulatifs un grand nombre d'items concernant ce fameux nom de la lettre, et toute une progression visant à apprendre aux élèves à épeler. PS : "Reconnaître et nommer certaines lettres de son prénom écrit en capitales", MS "Nommer les lettres de son prénom et quelques lettres de mots connus (le professeur nomme systématiquement les lettres), GS "connaître le nom des lettres de l'alphabet", "connaître le nom des lettres de l'alphabet et leurs valeurs sonores (hormis les occlusives)". Au lieu d'écarter le nom de la lettre, qui n'aide en rien à apprendre à lire, on met l'accent dessus... et on se retrouve coincés avec des lettres comme le c, qui fait surtout [k] alors que son nom indiquerait plutôt [s].

 

Une liste très limitée de consonnes

Pour contourner le problème, on écarte les consonnes occlusives - toutes celles qui nécessitent une brève occlusion du canal d'air quand on les prononce, à savoir les sons [p], [b], [t], [d], [k] et [g]. On écarte donc au passage le t, qui se fusionne très bien et qui serait très utile pour la découverte de la lecture ! Si on ajoute le [m] et le [n] à la liste des occlusives (ça dépend des écoles, les experts ne sont pas tous d'accord entre eux), on ne peut presque plus rien écrire.

En prenant les programmes au pied de la lettre, on doit donc à 5 ans "épeler les lettres d'un mot connu afin qu'un tiers puisse l'écrire", mais en production d'écrits "utiliser quelques rapports graphie-phonie parmi les plus simples à percevoir : quelques voyelles simples et quelques consonnes fricatives (s, f, v, z, r) et liquides (l) pour produire des écrits.

Doit-on pouvoir épeler "c - a - f - é" mais pas le lire puisqu'il y a une occlusive ? Ou bien on ne doit apprendre à lire que des mots contenant les fricatives et les liquides ? Comme il est précisé ailleurs, à deux reprises, que les doubles lettres et les lettres muettes sont interdites, j'aimerais bien qu'il y ait un répertoire de mots associés à l'usage des professeurs.
J'ai trouvé : sofa, vis, fil, zéro, vélo, ravi, zizi (mais ce n'est peut-être pas recommandé ?)... et je crois que c'est tout. Si on considère que le e de fin de mot n'est pas muet, j'ai "rue", "vie", et "vue". J'ai aussi "il lave" ou "il râle" (on a droit aux accents ?).

On voit bien que ça n'est pas tenable. Et encore une fois, comme dans le guide orange, on se base uniquement sur la progression de lecture, et on propose donc d'écrire des lettres extrêmement difficiles à tracer, comme le f ou le z, parce qu'elles sont simples à lire.

On peut ainsi demander à un élève de 5 ans d'écrire "zéro" en cursive, mais pas un mot simple comme "moto".

Je ne vois absolument pas comment, dans ces conditions, remplir l'objectif "Persévérer pour mener la production d'écrits à son terme : préparation, énonciation et révision" et encore moins "Comprendre qu'il existe une norme pour écrire : ponctuation, majuscules, mise en page, etc." Il va falloir que les documents d'accompagnement soient très très explicites sur la pédagogie à adopter pour obéir à toutes ces injonctions !

 

Apprendre le geste d'écriture

J'ai été vraiment contente de lire dans les programmes que "L'apprentissage du geste d'écriture est en effet primordial et se construit progressivement dès la petite section".

Merci aussi au rédacteur d'avoir insisté sur la posture corporelle adaptée, la coordination du geste, la tenue de l'outil. L'objectif à partir de 5 ans est très clair : "tenir correctement son stylo par la pince des doigts et utiliser de façon coordonnée les quatre articulations (épaule, coude, poignet de doigts". Ainsi, non seulement la tenue du crayon est prise en compte, mais aussi le déplacement du bras (articulation de l'épaule et du coude) et la souplesse du poignet (moins essentielle, mais utile à l'intérieur d'un mot). Je n'aime pas beaucoup le terme "pince", qui incite à serrer les doigts sur le crayon, mais sinon je suis vraiment contente que la tenue du crayon ne soit pas laissée au hasard.

Je note également qu'on enjoint au professeur d' "écrire sous les yeux de ses élèves, verbaliser les tracés qu'il effectue et accompagner verbalement les tracés des élèves", ce qui nous conforte dans l'utilisation de notre guidage vocal 5E, bien plus efficace qu'une verbalisation descriptive.

Je suis étonnée par contre de lire que l'écriture cursive doit être "introduite en moyenne section ou lorsque l'enfant est prêt". Pour moi, il s'agit typiquement d'une compétence de grande section, et il y a beaucoup de choses à faire en amont avant d'aborder l'écriture cursive proprement dite. On retrouve dans le tableau des objectifs "à partir de 4 ans" celui de "s'initier aux tracés de l'écriture cursive". J'ai peur que cette injonction ne mette en difficultés une grande partie des élèves, sans bénéfice réel. En abordant l'écriture cursive en janvier de Grande Section, on s'assure que tous les élèves de la classe, même ceux nés en décembre, aient fêté leurs 5 ans. La maturité de la main de l'enfant et de sa coordination me semble insuffisante avant.

 

Vive l'efficacité !

J'ajoute à toutes mes remarques positives le fait que la dictée à l'adulte est mise en avant, ce qui est vraiment très positif pour tout un tas de raison qui sont détaillées dans le programme et sur lesquelles je ne reviens pas.

L'utilisation de mots transparents me réjouit également. J'ai ironisé plus haut sur leur limitation à certaines catégories de consonnes, et je pense qu'on peut très bien utiliser des mots contenant des doubles consonnes et / ou des lettres muettes, à condition tout simplement de les indiquer aux enfants, tant qu'on n'utilise pas de sons complexes. Mais sur le fond, je suis ravie qu'on ne considère pas, comme dans les précédents programmes, qu'un mot est "simple" juste parce qu'il est court ou familier.

À mon avis, on pourrait très bien s'autoriser tous les sons simples, y compris avec les consonnes occlusives, et aller jusqu'à lire "Papa a une moto", "Mamie a vu le lama" et autres "Rémi a lavé la vache" (ce dernier exemple tiré de la méthode de lecture Apili, qui pourrait être utilisée en fin de GS et qui elle est très rigolote).

Par contre, en écriture, il faut être vigilant sur la difficulté des tracés : le mot "lavé", qui est simple à encoder, nécessite quand on l'écrit en cursive d'anticiper, en écrivant la lettre v, que la lettre suivante est un e et que donc il faut baisser le bec du v pour lui faire de la place. C'est une ligature difficile, qui n'a pas sa place en grande section. J'invite donc les enseignants à choisir soigneusement les mots qu'ils donnent à copier, en tenant compte des difficultés qu'ils présentent. Le mot "lune" ou le mot "télé", par exemple, sont bien plus faciles à tracer.

En conclusion, je trouve que ces nouveaux programmes avancent sur bien des points, mais ne mettent pas du tout assez en avant la créativité et l'imagination des enfants, ce qui est dommage quand on parle de langage. Je trouve aussi que l'écriture est encore une fois subordonnée à la lecture dans le choix des sons à apprendre - même si je me réjouis que le geste d'écriture ait une place à part entière.

 

 

 

Toutes les citations sont extraites du BO n° 41 du 31 octobre 2024.

 

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