Un sondage pour faire l'état des lieux
Depuis 2015, à chaque fois que je donne une formation pour enseignants sur l'écriture manuscrite, il y a au moins une personne pour me poser une question, toujours la même : "Pourquoi n'avons-nous pas eu cette formation à l'IUFM / l'ESPE ? Ce sont des savoirs de base pour les enseignants, cela devrait faire partie de notre formation initiale".
J'ai fini par me demander si ce manque criant de formation initiale était une impression ou une réalité. Pour le savoir, j'ai proposé un petit sondage en ligne aux enseignants. Un peu plus de 500 personnes y ont répondu. Voici leurs réponses en détail.
Méthodologie
Ce sondage a été relayé sur divers réseaux sociaux - Facebook, LinkedIn, Twitter - par des enseignants. Il s'adressait aux enseignants du primaire. Il comportait des questions fermées (Avez-vous reçu une formation initiale sur l'enseignement de l'écriture manuscrite ? oui / non. Si oui, cette formation vous a-t-elle été très utile / utile / pas très utile / inutile) et des questions ouvertes (Voulez-vous m'en dire plus sur votre formation initiale et l'écriture manuscrite ?).
Les réponses étaient anonymes. Le sondage a circulé grâce aux relais de nombreux enseignants. Il est toutefois possible, voire probable, qu'il y ait un léger biais : les personnes touchées en premier lieu ont été celles qui suivent mon travail, donc manifestent un intérêt pour la question de l'écriture manuscrite. Il est donc possible qu'il y ait une surreprésentation des enseignants ayant fait le choix de se former eux-mêmes. J'ai cessé de recueillir les réponses quand environ 500 personnes ont répondu, après avoir vérifié que les pourcentages ne variaient guère au fil des réponses, ce qui est un indicateur de fiabilité.
Qui a bénéficié d'une formation initiale sur l'écriture manuscrite et son enseignement ?
La première (mauvaise) surprise de ce sondage est la réponse à la première question. Puisque les ministres de l'Éducation nationale successifs n'ont pas cessé de prôner le retour aux "fondamentaux", à savoir lire, écrire et compter, on pourrait imaginer que les institutions mises en place - IUFM, puis ESPE - accorderaient une grande importance à l'écriture, second volet de ce triptyque. Non seulement il n'en est rien, mais l'absence formation initiale est massive.
Ce premier constat me semble déjà inquiétant. Qui pourrait penser que les professeurs des écoles, dans leur écrasante majorité, n'ont jamais reçu la moindre formation sur l'écriture manuscrite ? Il y a là une situation véritablement préoccupante, dont personne ne semble véritablement avoir conscience. En y regardant de plus près et en croisant avec les années de formation initiale, on ne constate aucun lien entre année de la formation et présence ou non d'une formation sur l'écriture : le passage de l'IUFM à l'ESPE ne semble pas avoir eu d'incidence sur cette question. Les années de formation s'étalent entre 1975 (École normale d'instituteurs) et 2019 (ESPE), sans lien avec le pourcentage d'enseignants formés.
J'ai voulu ensuite en savoir plus sur le petit dixième d'enseignants qui déclaraient avoir reçu une formation initiale sur le sujet. Première question : combien de temps cette formation a-t-elle duré ? Massivement, à près de 80 %, il s'est agit d'un moment de formation très court : 3 heures ou moins.
Troisième question sur la formation initiale : cette formation vous a-t-elle été utile ?
Là encore, mauvaise surprise : seuls 42,4 % des enseignants qui ont effectivement reçu une formation initiale à l'écriture jugent qu'elle a été "très utile" ou "utile", pour une majorité de 57,1 % qui jugent qu'elle n'a pas été très utile, voire inutile !
En allant regarder dans le détail les réponses des personnes qui ont jugé cette formation inutile, voici leurs commentaires :
"Tellement court qu'il ne m'en reste aucun souvenir"
"Un rappel sur la hauteur des lettres et une copie de l'alphabet"
"Une conférence où la formatrice a annoncé qu'on pouvait écrire les lettres rondes dans le sens qu'on voulait"
"Il nous a montré le modèle et on devait le reproduire. Aucune réflexion derrière. Un modèle unique et très chargé. Aucune aide à modifier notre écriture ni d'indication pour tenir notre crayon etc."
À l'inverse, ceux des enseignants qui ont reçu une formation "très utile" citent une formation d'équipe en année de PES ou des formations de terrain :
"formation d'équipe lorsque j'étais PES. La révélation !"
"formation par les conseillers pédagogiques lors de l'année de T1"
"formation et accompagnement sur le terrain des CPS et des collègues pairs"
Qui a bénéficié d'une formation continue sur l'écriture manuscrite et son enseignement ?
La deuxième partie du sondage portait sur la formation continue. On pourrait espérer que les 92 % de professeurs du primaire n'ayant jamais eu la moindre formation sur l'écriture manuscrite auraient au moins bénéficié d'une formation continue. Ce n'est malheureusement pas le cas de 80 % des enseignants - un chiffre moins dramatique, mais toujours spectaculaire. Si on extrait de la base les personnes ayant répondu non aux deux questions, c'est-à-dire n'ayant reçu ni formation initiale, ni formation continue, on arrive à 73,2 %. Ce qui pourrait se résumer d'une formule choc :
Les trois quarts des enseignants n'ont jamais eu de formation sur l'écriture.
Pour cerner les choses de plus près, j'ai demandé aux enseignants ayant suivi une formation continue sur l'écriture dans quel cadre cette formation avait eu lieu. Voici leurs réponses :
On notera qu'un quart des enseignants concernés, soit 25 personnes, déclarent avoir fait une formation individuelle qu'ils ont payée de leur poche. Encore une dépense à ajouter à la longue série de celles que les enseignants font sur leurs propres deniers ! Lire cet article de Louise Tourret sur les enseignants qui dépensent pour travailler
Sur ces 25 personnes, l'une déclare avoir créé sa propre méthode et les 24 autres estiment que les formations qu'elles ont suivies leur ont été "utiles" ou "très utiles".
Les avis sont plus contrastés sur les formations prises en charge par l'institution (publique ou privée - le sondage s'adressait à tous les enseignants du primaire), qu'elles soient obligatoires ou optionnelles : ces 76 personnes jugent plus sévèrement les formations reçues : 5 % les estiment inutiles, 18 % pas très utiles. La nature de ces formations est extrêmement variée :
"Sous forme de diaporama avec une centaine de PE"
"Groupe de travail dans chaque école pour construire une progression de cycle"
"Animation pédagogique"
"Conférence"
"Apports didactiques puis analyse de pratiques et de cas concrets"
Certains enseignants sont très critiques :
"Contradiction entre les intervenants"
"Cette formation a été faite par une graphothérapeute qui nous a surtout vanté les mérites de son cabinet et nous a distribué des flyers à donner aux familles"
"Trop court, trop d'infos en peu de temps"
"Utile, mais la personne qui est venue nous la faire était plus là pour vendre son bouquin"
mais la plupart ont apprécié ces temps de formation :
"J'y ai découvert l'apprentissage des lettres et surtout j'y ai appris à différencier le graphisme de l'apprentissage du geste d'écriture"
"C'était très clair et j'utilise encore ce que j'ai appris"
"Cette formation m'a permis de remettre en doute ma pratique"
"Très utile malgré le format conférence"
"Prise de conscience des dégâts causés par une mauvaise posture, une mauvaise tenue de l'outil scripteur et de nombreuses pistes pour que les élèves soient à l'aise avec l'écriture (gym des doigts, compétences préalables au geste de l'écriture)"
Le graphique le montre d'ailleurs bien : cette fois, c'est à près de 75 % que les formations sont jugées "utiles" ou "très utiles".
Des besoins urgents en matière de formation
De manière assez logique si l'on tient compte de tout ce qui précède, les trois quarts des enseignants estiment avoir actuellement un besoin de formation sur la question de l'écriture manuscrite.
En conclusion, le tableau qui se dessine est celui d'enseignants peu formés, qui cherchent par eux-mêmes des solutions. Le chiffre de 5 % d'enseignants déclarant avoir payé une formation de leur poche est à rapprocher de 8 % d'enseignants ayant reçu des cours sur l'écriture en formation initiale !
Dans ce domaine, comme dans bien d'autres malheureusement, les enseignants sont pour la plupart livrés à eux-mêmes et cherchent à pallier les déficiences de leur formation pour encadrer au mieux leurs élèves. Les témoignages se suivent et se ressemblent :
"Je me suis formée seule en glanant des informations sur internet mais c'est insuffisant".
"Je me sers de ce qu'on m'a appris, enfant, dans les années 60".
"Je me suis formée seule avec mon intuition, mon expérience, et maintenant ce qu'on peut trouver sur le net. Mais j'apprécierais de pouvoir suivre une formation".
"Je me suis formée seule mais face à des enfants en grande difficulté (dysgraphie, problèmes moteurs), on reste quand même assez démunis".
"Je me suis formée en lisant et en expérimentant sur le terrain".
"On lit on s'informe, on se forme tout seul, y compris sur les violences institutionnelles, que ça en est désespérant. PS : on reçoit des élèves handicapés sans aucune information, sans aucune aide, sans aucun conseil (et certains ne sont pas à l'aise avec un stylo, pas pris en charge à l’extérieur)."
"On se débrouille tout seul".
"J'ai une formation autodidacte auprès de collègues, divers sites et j'ai acheté des livres. Mais malgré tout, je ne suis pas pleinement satisfaite."
"Je me suis formée seule en lisant des blogs sur internet et en lisant des livres achetés avec mon argent personnel".
"N’ayant pas eu du tout de formation, je me forme toute seule sur Internet mais je n’en suis pas du tout satisfaite."
"Formation sur le terrain 17ans de cp mais je galère encore".
"La formation devrait être obligatoire, en cp nous devons lutter contre des mauvaises habitudes (tenue de crayon, ou gestes eux-mêmes)".
Je ne peux pas citer toutes les réponses, qui sont très nombreuses, mais je laisse le mot de la fin à un collègue :
"C'est une aberration que nous ne soyons pas du tout formés sur un sujet si important !"