graphisme maternelle

 

Troisième partie : le graphisme à l’école maternelle

Dès l’introduction, le document consacré au graphisme met les choses au clair : le dessin, le graphisme et l’écriture sont des activités différentes. Cette mise au point est à mon sens nécessaire, les confusions étant fréquentes chez les enseignants, du fait de l’utilisation récurrente de l’expression graphisme préparatoire à l’écriture. Ici, chaque chose est remise à sa place : le dessin, en tant qu’activité d’expression et de représentation à dominante symbolique, le graphisme, en tant que reproduction de lignes, motifs et formes à dominante fonctionnelle, l’écriture, en tant qu’activité culturelle produisant du sens, donc à dominante sémiotique.

Il est rappelé que toutes les trois mettent en œuvre la perception et la motricité mais avec à la fois une intention et une façon de faire différentes. La place du dessin, et en particulier du dessin libre, est rappelée de manière très ferme : l’école encourage les dessins libres spontanés qui renforcent chez l’enfant la construction de soi, le développement de la personnalité. Le dessin est souvent une activité ludique et motrice, mais qui construit le rapport entre le geste et la trace. Il a également une fonction de langage, il est langage plastique. Pas question donc d’empêcher les élèves de petite section de dessiner, au motif que leur tenue du crayon n’est pas encore parfaite ! Le dessin est le premier moyen d’expression naturel de l’enfant et il est absolument indispensable que l’école l’encourage pour ne pas risquer de creuser, déjà, les inégalités entre ceux qui ont la possibilité de dessiner à la maison et les autres.

Là encore, on se rapproche des préconisations de Catherine Huby, qui insiste énormément sur la place du dessin libre dans les apprentissages de maternelle.

Les spécificités du graphisme explicitées

Les objectifs du graphisme sont le développement de l’activité perceptive, l’éducation de la motricité fine, l’exploration d’une multitude d’organisations spatiales. L’activité s’inscrit donc au carrefour de tous les grands domaines de l’école maternelle :

  • mobiliser le langage dans toutes ses dimensions (en incitant les enfants à verbaliser les tracés, à identifier les formes géométriques)
  • agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique (en développant la motricité fine)
  • agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques (en insistant sur l’aspect plastique du graphisme et sa valeur décorative)
  • construire les premiers outils pour structurer sa pensée (en apprenant à dégager les points communs entre les différentes formes)
  • explorer le monde (en apprenant à repérer les formes graphiques dans son environnement)

Il serait donc illusoire de vouloir indiquer sur son cahier journal que l’activité « graphisme » entre dans la case « arts plastiques » ou dans la case « langage »… puisqu’elle est, par nature, transversale.

La progression des apprentissages entre les trois sections est bien détaillée : développer le geste ample dans toutes les directions en PS, pour percevoir la trace et avancer en allant de l’aléatoire à l’intentionnel ; perfectionnement du contrôle des gestes pour des tracés plus diversifiés et plus précis en MS ; épanouissement graphique en GS.
Les étapes de l’apprentissage sont ainsi définies :

1. découvrir

2. s’entraîner

3. consolider

4. réinvestir

5. perfectionner

L’étape de découverte propose de partir d’images, photos ou reproductions d’œuvres pour repérer formes, lignes et motifs. L’insistance est mise sur les situations qui doivent engager réellement l’enfant et non le mettre en simple position d’exécutant. L’utilisation systématique des fiches photocopiées de graphisme est ainsi très vivement déconseillée, au profit de l’utilisation d’outils et de supports variés. Il est également bien précisé qu’il ne s’agit pas de s’approprier le sens de l’écriture (gauche-droite et rotation anti-horaire) mais bien d’explorer les diverses directions. Voici une raison de plus d’éviter les fiches qui lient de manière mécanique graphisme et écriture et finalement ne préparent ni à l'un, ni à l'autre.

graphisme continue les boucles

Enfin, lors de la partie sur le perfectionnement, il est à juste titre rappelé que repasser sur une forme n’est pas une situation d’apprentissage. Le travail sur le geste et sur son appropriation doit être premier.

Des particularismes culturels mis en avant

Le document insiste beaucoup sur les supports qui doivent être sélectionnés pour leur richesse graphique. Les programmes indiquent clairement que ces graphismes décoratifs doivent être issus de traditions culturelles et d’époques variées. Je ne peux que souscrire à cette recommandation, permettant de faire observer par exemple aussi bien la richesse des enluminures du Moyen-Age que celle des arts asiatiques. Là où je suis beaucoup plus réservée, c’est quand je lis dans le document d'accompagnement que des liens peuvent être recherchés avec les cultures d’origine des élèves de la classe. Je pensais que la « pédagogie couscous », renvoyant encore, génération après génération, les élèves de nos écoles à leurs « origines » réelles ou supposées, avait vécu. Car il s’agit bien là de proposer des activités différenciées en fonction des couleurs de peau des élèves (les enfants blancs n’étant quasiment jamais renvoyés à leurs « origines », même s’ils sont enfants d'immigrés, du moment qu’ils sont francophones). Je ne vois aucune raison valable pour laquelle on proposerait plus d’étudier les motifs du wax africain à Ali et Fatou ou ceux de la porcelaine chinoise à Dawei et Miaosi que le contraire. La culture est à tous et à tout le monde ! Et Gaspard et Ninon feront également leur profit de l'un comme de l'autre.

wax motif pour graphisme maternellecéramique chinoise motif pour graphisme maternelle

 

Plus grave, il est indiqué plus loin qu’il va de soi que la progressivité des enseignements s’adapte à la particularité du public, aux expériences personnelles acquises à l’école ou à la maison. Si on prend cette phrase au pied de la lettre, cela veut dire que dès la maternelle, l’école renonce à être la source essentielle des apprentissages et s’appuie sur les « expériences personnelles », par définition incontrôlables. Je souhaiterais vraiment que le ministère de l’Education nationale, conscient des enjeux de société présents ici, demande plutôt aux enseignants de s’appuyer sur les expériences collectives acquises à l’école.

Des injonctions paradoxales sur l’évaluation

Comme dans le document sur l’écriture en maternelle, le texte rappelle que l’évaluation se doit d’être d’abord formative. Cela dit, au lieu de développer ce point, la bascule se fait immédiatement vers l’évaluation sommative puisqu'on se penche sur ce qu’il convient de faire lorsqu’il s’agit de faire un bilan.

Là, quelques unes des dérives bien connues de l’évaluation sommative sur des très jeunes enfants sont pointées, sans que des alternatives crédibles soient proposées. On demande à juste titre d’éviter les « smileys » qui apportent une note affective inutile et même dérangeante pour certains, mais sans dire par quoi les remplacer. On rappelle que c’est la production qui est évaluée et non l’élève, puis on parle des élèves qui éprouvent encore des difficultés, ce qui prouve que c’étaient bien finalement les élèves qui étaient évalués et non une production isolée.

Les dérives les plus graves – critiques collectives, évaluations commentées devant les camarades, petits bonshommes tristes apposés sur les travaux – sont pointées du doigt, mais la nécessité de « faire un bilan » n’est pas remise en question. Les enseignants sont donc laissés seuls face à une injonction paradoxale : « faites des évaluations bilans personnelles, mais sans qu’elles produisent leurs effets négatifs bien connus ». On ne leur dit pas comment s’y prendre pour réaliser ce tour de force…

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