Première partie : l'écriture à la maternelle
Les programmes 2015
Les nouveaux programmes de l’école maternelle laissent une large place à l’interprétation. Ils notent avec justesse que les progrès des enfants sont rarement linéaires, que leur stabilisation nécessite de nombreuses répétitions dans des situations variées, ce qui prend bien en compte le jeune âge des élèves de la petite école. Mais, un peu plus loin, ils annoncent que progressivement, les enfants sont conduits à participer à une élaboration collective de règles de vie adaptées à l’environnement local, ce qui semble au contraire ignorer totalement le développement de l’enfant de moins de 6 ans. Ces contradictions donnent l’impression au lecteur que des concessions ont été faites à plusieurs écoles de pensée, donnant naissance à un patchwork étonnant.
Quoi qu’il en soit, les programmes annoncent clairement que la stimulation et la structuration du langage oral d’une part, l’entrée progressive dans la culture de l’écrit d’autre part, constituent des priorités de l’école maternelle. Ils insistent plus précisément sur l’écriture : la progressivité de l’enseignement à l’école maternelle nécessite de commencer par l’écriture. Ils précisent que le chemin inverse, qui va de l’écrit vers l’oral, sera pratiqué plus tard quand les enfants commenceront à apprendre à lire. Cette phrase donne l’impression qu’à la maternelle, on apprend à écrire des choses qu’on ne peut pas lire, ce qui est tout de même paradoxal.
En même temps, les mêmes programmes indiquent que l’enseignant veille à ne jamais isoler les trois composantes de l’écriture : la composante sémantique (le sens de ce qui est écrit), la composante symbolique (le code alphabétique) et la composante motrice (la dextérité graphique).
Je fais donc le choix de considérer que l’écriture n’est jamais apprise « à vide », mais bien en liaison étroite avec la lecture. La phrase il n’y a pas de pré-lecture à l’école maternelle, difficile à concilier avec le reste des affirmations, peut être interprétée comme « il n’y a pas de pré-lecture : il y a les débuts construits de l’écriture-lecture ». C’est en cohérence avec les attendus de fin de cycle, parmi lesquels écrire seul un mot en utilisant des lettres ou groupes de lettres empruntés aux mots connus.
Cet article est consacré au document intitulé L'écriture à la maternelle, téléchargeable sur Eduscol. Je consacrerai prochainement d'autre articles aux autres documents proposés sur la même page.
L’écriture à la maternelle
Ce document de 25 pages est entièrement consacré à l’écriture à la maternelle. Il rappelle certains principes essentiels qui sont présentés dans un tableau.
- pas d’enseignement de l’écriture en petite section
- copie de mots simples en capitales d’imprimerie sous la tutelle de l’enseignant en moyenne section
- éventuellement essais d’encodage de mots simples et connus en fin de moyenne section
- copie de mots connus en cursive en grande section si les enfants ont acquis la maturité motrice nécessaire
- essais d’écriture de mots nouveaux en grande section
Il me semble que ces repères précis sont très utiles et vont permettre aux enseignants de petite section de se consacrer à un travail beaucoup plus utile et productif que de faire copier des lettres à des enfants entre 2 ans 1/2 et 3 ans 1/2. Ce tableau et les illustrations qui l'accompagnent sont bienvenus pour donner des repères aux professeurs d'école nommés en maternelle.
L’importance des exercices de motricité fine est très justement rappelée, ainsi que le travail sur l’organisation spatiale.
Le programme année par année
Petite section : dictée à l’adulte
Les enseignants doivent veiller à ce que les enfants les voient souvent écrire. Lorsque certains élèves essayeront à leur tour d’écrire spontanément, ils doivent à la fois valoriser l’essai et faire comprendre à l’enfant que son « écrit » ne peut pas être lu.
Les enfants peuvent dicter au professeur les phrases qu'ils veulent écrire. Il est essentiel que celui-ci les écrive en les syllabant lentement, très clairement, et en faisant bien correspondre son geste avec le son.
En cela, le document d'accompagnement des programmes rejoint très clairement les préconisations de Catherine Huby dans son ouvrage sur la Maternelle du XXIe siècle.
Je suis entièrement d’accord avec ces préconisations et j’espère qu’elles auront pour effet de faire disparaître durablement les tentatives d’enseignement précoce de l’écriture avant 4 ans, tout en permettant aux élèves de se familiariser avec le sens de l'écrit.
Si le document ne donne pas plus de précisions sur le travail à accomplir en petite section, c'est que celui-ci va se dérouler dans d'autres domaines – motricité large et motricité fine, langage oral, musique, arts plastiques... – qui sont essentiels à la mise en place du geste d'écriture.
Moyenne section : premiers mots
Même s’il admet que les premiers mots soient écrits en capitale d’imprimerie, le document souligne l’importance à attacher au geste adapté et à l’agencement de l’espace-feuille.
Il propose une évolution par périodes :
- septembre-octobre, l’enseignant écrit sous les yeux des élèves
- novembre-décembre, il travaille avec des petits groupes sur un mot à écrire collectivement
- janvier-avril, les enfants s’entraînent à écrire leur prénom, puis d’autres mots
- mai-juin, normalisation de la forme des lettres, régulation de la hauteur, écriture de locution voire de petites phrases
Je ne puis qu’approuver cette clarification. L’écriture cursive n’est pas demandée aux élèves de moyenne section, la normalisation de la forme des lettres majuscules d’imprimerie n’intervient qu’en fin d’année…
Je déplore cependant qu’une place essentielle soit réservée à l’apprentissage du prénom et à l’utilisation de l’étiquette correspondante. En effet, il me semble que le principe d’égalité devrait valoir pour tous et il n’est pas normal que Léo n’apprenne que trois sons là où Marie-Véronique en apprendra dix, tandis que Ryan restera perplexe, à moins qu’on ne lui apprenne que le y se prononce « aïe »…
Les noms propres n’ayant pas d’orthographe fixée, il est tout à fait possible d’ailleurs que Ryan soit dans la même classe que Rayan et Rayane, avec Ana, Hannah et Anna… Baser la découverte des correspondances de sons sur les prénoms me semble aléatoire et peu efficace. Il serait beaucoup plus logique de sélectionner des mots simples, réguliers, tels « tomate », « pirate », « tulipe » ou « vélo ». Si l’on tient toutefois à utiliser des prénoms, pourquoi ne pas utiliser celui des mascottes de la classe, opportunément nommées Coralie et Max (ou Marie et Nicolas, ou encore Fatima et Boris) ?
Quand le moment sera venu d'écrire son prénom, Abd el Razzak sera probablement plus en difficulté que son voisin Ali, du fait de la présence dans son prénom de lettres très difficiles à tracer en cursive comme le z et le k.
Le document du ministère le reconnaît d’ailleurs : l’écriture du prénom s’avère parfois difficile compte tenu de sa longueur ou de la présence de lettres complexes. Il est possible et même profitable parfois de choisir un mot collectif qui permet un travail en commun au cours duquel l’enseignant pourra nommer les lettres, énoncer les règles de l’écriture, transférables aux autres mots qui seront écrits ultérieurement.
Grande section : vers l'écriture cursive
Chez les grands, vient le moment d’aborder l’écriture cursive, chacun à son rythme. Au détour d’une phrase, il est dit que cet apprentissage complexe peut prendre appui de manière transitoire sur l’écriture scripte, ce qui n’est indiqué nulle part ailleurs. Rien ne vient expliquer ni étayer cette affirmation, qui me semble absurde : comment s’appuyer sur un geste discontinu pour aider l’enfant à acquérir un geste continu ? Quel peut être l’avantage pour un enfant d’apprendre un premier geste d’écriture pour qu’on lui demande ensuite de le changer ? On sait à quel point les premiers apprentissages sont importants et s’ancrent dans la mémoire du geste. Il me semble donc essentiel de débuter l’enseignement de la cursive… par la cursive !
Le tableau qui présente les apprentissages par périodes me pose également questions.
lI me semble qu'en période 1 et 2 de GS, on ne peut guère encore consolider les acquis.
La phrase suivante, commencer l’apprentissage de l’écriture cursive avec les élèves qui sont prêts, me fait me poser immédiatement la question du sort des élèves qui « ne sont pas prêts »… J’aurais plutôt tendance à recommander un entraînement systématique pour tous les enfants, en s'appuyant sur de nombreuses activités préparatoires ! Le choix des exemples de mots à copier me semble aussi étonnant : loup, lapin… je recommande plusôt il lit, elle lit, le lit, lulu… : des mots faciles à écrire en suivant une progression raisonnée du geste d’écriture, comme celle que je présente rapidement (cf. L'écriture au cycle 2 de l'école primaire)
En période 3 et 4, on revient sur le prénom, ce qui risque encore de mettre plus en difficulté Jeanne-Emmanuelle que Léna. L’injonction visant à différencier les séquences sonores (syllabes) des séquences graphiques (levés de main) me semble un peu superflue. Outre le fait qu’on ne lève pas la main mais juste la pointe du crayon quand nécessaire entre deux lettres, il n’est pas vraiment indispensable de travailler ce point. Une fois que les enfants ont appris à lever la pointe du crayon avant les lettres rondes, nul besoin de s'attarder à analyser les « séquences graphiques »...
L’idée de travailler de manière approfondie les lettres qui ont posé des difficultés peut paraître pertinente, mais il me semble qu’il serait plus logique de ne pas mettre les enfants en difficulté en leur demandant d’accomplir une tâche à laquelle ils ne sont pas préparés. En clair, ne vaut-il pas mieux leur apprendre directement le bon geste plutôt que de les laisser tâtonner pour ensuite reprendre leurs inévitables erreurs ?
En période 5, il est très pertinent de réguler les tracés. La question de la réglure, cependant, ne doit pas être sous-estimée : en donnant à l’enfant des réglures trop grandes, on l’incite à tracer la lettre d’un geste du poignet, alors que c’est un geste des doigts qui est attendu. Je ne recommande donc pas de commencer par des tracés sur papier de lettres géantes (le travail sur d’autres supports, comme le tableau noir, ne pose pas de problème, il peut être fait d’un geste ample, qui part de l'épaule et mobilise tout le bras). J'ai développé ces questions ici.
La dernière injonction, copier régulièrement plusieurs mots, expressions, phrases courtes me semble à mettre en regard de l’apprentissage de la lecture, qui est en cours. L’enseignant devra donc veiller à choisir des sons simples, entièrement décodables par les élèves, pour aider les enfants à rédiger collectivement des phrases du type Aline a acheté une tomate ou Marie répare la moto de Rémi.
Les productions autonomes d'écrits
Le document d'accompagnement des programmes insiste longuement sur les essais d'écriture autonome, vivement encouragés. Les référentiels mis à la disposition des élèves peuvent effectivement leur servir de support, tout comme le travail déjà fait en lecture / écriture, mais il me semble qu'il est essentiel de ne pas négliger l'étape finale de validation. C'est le moment où, en regard de la production de l'enfant, la phrase correcte sera écrite, en cursive, au rythme de la parole, par l'adulte.
En faisant ce travail d'accompagnement, l'enseignant pourra en profiter pour énoncer quelques règles simples : « Tu vois, comme tu as écrit une phrase toute entière, je vais mettre une majuscule au début et un point à la fin », « Là, il y a plusieurs enfants, alors je mets un s, et ils jouent, alors je mets e, n, t au verbe jouer ». Ainsi, l'enseignant donnera à entendre les mots justes aux élèves sans jamais l'interroger dessus.
Le document insiste ensuite sur la mise à disposition de claviers pour que les enfants puissent les utiliser en production d'écrits. Là encore, il est essentiel que la production balbutiante de l'enfant ne reste pas telle quelle, mais soit accompagnée de la phrase réécrite correctement par l'enseignant.
La tenue du crayon
La bonne tenue du crayon est correctement décrite... mais illustrée par la photo d'une petite fille qui, certes, ne tient pas mal son stylo à plume, mais positionne très mal son cahier, qui n'est pas dans le bon axe pour écrire.
Là encore, cela donne l'impression que les rédacteurs n'ont pas voulu choisir une manière de faire et s'y tenir de manière cohérente...
D'autant plus qu'après avoir expliqué l'importance de la bonne tenue du crayon, la conclusion est que si certains élèves sont mal à l'aise avec cette tenue du crayon [...] il vaut mieux alors les laisser tenir leur outil comme ils le souhaitent. Curieuse injonction, grâce à laquelle la rééducation de l'écriture a encore de beaux jours devant elle !
Évaluation
Pour finir, je voudrais saluer bien bas un petit paragraphe qui, entre des considérations sur les différents supports d'écriture et des suggestions d'apports culturels sur l'invention de l'alphabet, me réjouit particulièrement.Je le copie ici intégralement, en l'applaudissant des deux mains.
L'évaluation du travail des élèves doit être conduite avec bienveillance et permet de centrer l'attention sur le respect ou non des critères de réussite : la forme des lettres, leur emplacement dans le mot, leur ductus et les ligatures, la trajectoire gauche-droite, qui sont les règles de fonctionnement de l'écriture, ce qui légitime les observations. Dans cette perspective, l'évaluation se définit comme une aide, un apport d'informations et non seulement comme une simple vérification de l'activité concrète. Les évaluations sous forme de codage (couleurs, smileys) ne sont jamais représentatives de l'avancée de l'apprentissage de chacun et à ce titre, doivent être écartées.
C'est moi qui souligne !