Esprit de Pauline Kergomard, es-tu là ?
L'école maternelle a longtemps été une spécificité française. Grâce aux nombreux combats menés par ses défenseurs, elle fait partie intégrante de l'école primaire, au même titre que l'école élémentaire. Elle a su résister à la vilaine appellation de pré-élémentaire pour rester maternelle, au sens où elle accueille de très jeunes enfants, dont les besoins de soins et d'attention doivent être pris en compte.
Cependant, ces dernières années ont vu une évolution inquiétante nier de plus en plus la spécificité de l'école maternelle pour y introduire progressions rigides et évaluations normées, en faisant une « mini-élémentaire » bien éloignée de l'esprit de ses fondateurs.
Catherine Huby, qui vient de prendre sa retraite après 40 ans d'enseignement, a vu toutes les évolutions récentes de l'école. Souvent sollicitée par de jeunes collègues en manque de repères, elle nous livre dans cet ouvrage, joliment illustré au trait par Sophie Borgnet, sa vision d'une école maternelle idéale. Elle se replonge aux sources des grands pédagogues d'hier – Pauline Kergomard, Marie Pape-Carpantier, Maria Montessori, Elise et Célestin Freinet – pour proposer une école heureuse pour les enfants d'aujourd'hui.
(dessin emprunté à Jack, de dangerecole) |
La Classe des Petits et la Classe des Grands
Dans l'école maternelle idéale vue par Catherine Huby, il n'y aurait que deux classes multi-âges : la Classe des Petits (TPS - PS - MS) et la Classe des Grands (GS - CP). Les locaux adaptés, les effectifs raisonnables (20 élèves au maximum chez les Petits, 25 chez les Grands) et la présence d'une ATSEM (à plein temps chez les Petits, à mi-temps chez les Grands) permettent à l'enseignant d'être à l'écoute de chacun et de chacune.
« L'école maternelle doit être un lieu d'accueil ouvert, chaleureux. Tout progrès y vient en son temps, par l'art de ses maîtres qui accompagnent, sollicitent, proposent, éveillent l'enfant à son rythme. Un maître de maternelle n'impose jamais de marche forcée, de progression bornée dans le temps, de cursus mensuel ou trimestriel » nous dit-elle.
Mon expérience, déjà un peu ancienne (de 1996 à 2002), d'enseignante de maternelle, mes nombreux débats avec les collègues et les échanges que j'ai eus lors de mes formations pour enseignants m'amènent à me poser la question de la liberté dont disposent les enseignants de maternelle pour mettre en œuvre cette approche. En effet, la pression de l'institution est forte et celle des parents vient parfois s'y ajouter. Bien souvent, d'ailleurs, ce qui est vécu comme une pression de la part des parents d'élèves n'est en fait que l'expression d'une inquiétude excessive concernant son propre enfant.
(dessin emprunté à Sophie Borgnet sur son blog, Ouiphi) |
La pression de l'institution, elle, est bien réelle et peut mettre les collègues, surtout débutants, dans des situations difficiles.
(dessin emprunté au SNUIPP 41) |
Catherine Huby propose des exemples de fiches à rédiger à la demande de l'institution, permettant d'inscrire sa vision du développement de l'enfant, basée sur le jeu libre encouragé et encadré par le maître de la classe, dans les cases des programmes actuels de la maternelle. On se rend alors compte qu'à de rares exceptions près, les programmes sont suffisamment flous pour laisser des marges d'interprétation importantes et permettent tout à fait de faire usage de sa liberté pédagogique.
L'enseignement de l'écriture du prénom en capitale d'imprimerie dès la Petite Section, par exemple, qui est cité très régulièrement par les enseignants comme un attendu de l'institution, n'est pas présent dans les programmes 2015.
Dessin, graphisme et écriture
Dans la maternelle de Catherine, le dessin tient une place de choix. Chaque jour, dès l'arrivée en classe des petits, elle propose aux enfants de faire un dessin libre. Et chaque jour, quand l'enfant a fini de dessiner (les plus petits ne traceront que quelques traits, d'apparence abstraite pour un adulte...), le maître ou la maîtresse demande à l'enfant ce qu'il a dessiné et l'écrit, en le verbalisant très lentement, sous le dessin.
Petit à petit, l'exigence en matière de qualité du dessin se fait plus importante, l'enseignant fait des remarques permettant d'améliorer la représentation de la réalité. Mais les outils sont laissés longtemps à la disposition des enfants, pour qu'ils puissent se les approprier réellement avant que la moindre consigne ne vienne les pousser à aller plus loin.
Dans le corps de son ouvrage, Catherine Huby ne parle guère de la tenue du crayon. Néanmoins, dans l'annexe en fin d'ouvrage proposant un programme complet pour l'école maternelle, il est bien indiqué que l'enseignant veille à la posture du scripteur et à la bonne tenue de l'instrument de dessin et d'écriture. L'exigence, là aussi, doit être modulée en fonction de l'âge de l'enfant.
C'est à partir de la moyenne section qu'elle propose quelques gestes graphiques préparatoires au geste d'écriture, mais sans progression préétablie. Ce qu'elle privilégie, c'est avant tout le dessin organisé et le langage de communication et d'observation. On aimerait qu'elle développe un peu plus la manière dont elle conçoit le graphisme dans cette « progression libre ».
La vraie préparation à l'écriture de la Classe des Petits, toutefois, n'est pas classée au chapitre écriture et lecture de son ouvrage... on la trouve au chapitre jeux, où les activités d'enfilage, laçage, tressage, découpage, piquage... sont à l'honneur. L'enfant est amené à exercer sa motricité fine dans un cadre libre et bienveillant, et c'est lui-même qui saura se donner des défis pour progresser – encouragé par son enseignant qui poussera un peu les timorés et freinera un peu les brise-tout.
Dans la Classe des Grands, les élèves apprennent en même temps à écrire les minuscules cursives et à reconnaître leur son dans des mots. La « quadrature du cercle » dont je parlais ici même se résout en travaillant l'acquisition de l'écriture de chaque lettre en l'associant à d'autres pour former des syllabes et des mots.
La progression spécifique des gestes de l'écriture – boucles, pointes, rondes, arcades... – n'est pas citée, le travail en amont sur des gestes graphiques étant jugé suffisant. Il serait intéressant de préciser un peu plus la liaison entre lecture et écriture telle qu'elle est mise en œuvre dans cette Classe des Grands, pour donner des outils plus précis aux jeunes enseignants qui rêvent que leurs élèves atteignent le niveau de ceux de Catherine Huby.
Pour vous donner un exemple, voici le cahier d'un de ses élèves de GS, au mois d'avril.
Pour que le rêve devienne réalité ?
Dans les écoles maternelles réelles, tout ne ressemble pas souvent à l'école décrite dans cet ouvrage. Néanmoins, il me semble qu'il n'est pas si difficile d'essayer de s'en rapprocher, avec les moyens du bord.
(petit hommage au regretté Charb) |
En mettant en place de nombreux jeux libres, en oubliant les livrets d'évaluation et leurs terribles cases à cocher pour se réhabituer à observer le jeune enfant en action avec nos yeux de pédagogues, en mettant de côté des progressions prévues à l'avance pour s'autoriser à rebondir à partir des remarques de nos élèves et à encourager leur curiosité, en prenant le temps d'aider chaque petit à avancer à son rythme, les enseignants peuvent grandement favoriser l'épanouissement des jeunes enfants qui leur sont confiés.
Lorsque les petits auront grandi dans un climat de confiance, c'est d'eux-mêmes qu'ils demanderont à découvrir le mystérieux monde des lettres et des signes. Il n'y aura plus qu'à les accompagner sur le chemin de cette découverte – en veillant, cette fois, à suivre une progression logique pour ne pas risquer de construire sur du sable.
Je vous recommande donc ce livre optimiste, dont la vision du monde de l'enfance est rassérénante en cette époque où on a tendance à oublier que les petits sont petits !