Á l'approche de la rentrée, nombre de nouveaux professeurs d'école ou d'enseignants chevronnés qui changent de niveau s'inquiètent : sauront-ils produire une "écriture de maître" ou une "écriture de maîtresse" au tableau noir ? Comment aménager sa propre écriture et son propre geste afin de présenter aux élèves un modèle de qualité ?
Depuis la suppression des Écoles normales, le geste d'écriture du maître n'est plus au programme de la formation initiale des enseignants. Ces derniers se retrouvent donc parfois fort démunis face au tableau et à la craie, symboles de leur métier.
L'inoubliable Fernandel, dans le film Topaze.
La plupart du temps, le maître ou la maîtresse écrit loin du regard des élèves : préparations et corrections se font en dehors du temps de classe. Cela ne peut pas être le cas pour l'écriture au tableau, qui a lieu le plus souvent devant les yeux des enfants. Dans les petites classes, cela peut être l'occasion de montrer collectivement le tracé d'une lettre, qu'elle soit minuscule ou majuscule. La plupart du temps, il s'agit juste d'écrire pour être lu, lorsque la leçon en cours n'est pas une leçon d'écriture mais de n'importe quelle autre matière.
Le fait qu'il ne s'agisse pas d'une leçon d'écriture n'enlève bien entendu rien à la valeur de modèle de l'écriture de l'enseignant : de la même manière que les professeurs s'expriment de manière correcte à tout moment, afin que leurs élèves soient exposés le plus souvent possible à un bon modèle linguistique, de même ils se doivent d'écrire de manière convenable tout le temps, pour les mêmes raisons.
L'écriture au tableau est très différente de l'écriture sur papier
Au tableau, on écrit gros - bien plus gros que sur un cahier ou une feuille. On ne peut donc pas tracer les lettres d'un simple mouvement des doigts, qui aurait une amplitude insuffisante pour que la lettre soit lue de loin. C'est de l'épaule que part le geste, qui mobilise l'ensemble du bras. Le poignet n'est pas mobilisé en tant que tel : il reste dans l'alignement de l'avant-bras.
Au tableau, on écrit en face de soi. On ne peut donc pas faire reposer son avant-bras sur le tableau comme on le fait reposer sur la feuille quand on écrit sur une table perpendiculaire à son corps. L'ancrage est celui des pieds dans le sol. Le déplacement des pieds, de gauche à droite, remplace le glissement de l'avant-bras sur la feuille.
Au tableau enfin, on écrit avec une craie. On ne peut donc pas montrer la tenue correcte du crayon avec cet outil, ni mobiliser son pouce comme on le fait avec un crayon ou un stylo. Les doigts sont figés sur la craie.
Du fait de ces trois différences importantes avec l'écriture sur feuille ou sur cahier, le modèle montré par l'enseignant ne peut porter que sur le tracé et non sur le mouvement des doigts. Il me semble important de le dire aux enfants lors de la leçon d'écriture. "Là, je vous montre la lettre a, je ne peux pas poser mon avant-bras parce que je suis au tableau, je ne peux pas bouger que mes doigts parce que ça serait beaucoup trop petit, mais je vous montre dans quel sens on la trace". Il ne faut pas hésiter à prendre une feuille, à la poser sur le tableau et à montrer, une fois, la manière dont on forme un a sur la feuille (en posant l'avant-bras sur le tableau, ce qui n'est guère confortable). Tout le monde constate que le résultat est trop petit pour être vu de loin, donc qu'il faut écrire différemment au tableau.
De même, lorsque les élèves viennent à leur tour au tableau, il ne faut pas hésiter à leur rappeler que le geste d'écriture est différent de celui qu'on leur demande sur une feuille.
Une projection en direct ?
Si d'aventure votre classe dispose d'un visualisateur, la situation est différente : vous pouvez projeter en grand format l'image de votre propre main en train d'écrire dans la bonne posture.
Le crayon est tenu face à la caméra. La classe entière peut voir l'image, projetée sur le tableau en direct, et imiter le geste.
Un tracé fluide et conforme au modèle attendu
Quels que soient les outils dont vous disposez, ce qui est essentiel, c'est de bien avoir en tête le tracé de chaque lettre afin de produire un modèle conforme à ce qui est attendu des élèves. Les enfants remarquent de nombreux petits détails et ont tendance à reproduire, en l'amplifiant, la moindre particularité d'une écriture.
Voici un exemple, pris dans un cahier de CE2 :
On remarque que l'enseignant a arrondi la majuscule du L, qui peut être confondu avec un l minuscule script. L'enfant a amplifié ce défaut. Le s de "les" est légèrement arrondi chez l'enseignant, mais très arrondi chez son élève. Le pont du p est légèrement abaissé sur le modèle - caractéristique, là encore, soigneusement imitée par l'enfant. Le maître s'est interrompu au milieu du mot "aiment" et a repris l'écriture à la lettre e. Bien conformément, l'élève reproduit le trou dans le mot, le e plus grand avec sa cassure. Il n'est jusqu'aux points de suspensions, aplatis jusqu'à devenir des tirets, qui ne soient imités avec déférence.
Seules les finales droites du modèle - à la fin du m et à la fin du t - ne sont pas reproduites par l'enfant, qui leur substitue un retour sur la ligne plus conforme à la bonne règle.
En écrivant ces quelques mots, le maître n'a certainement pas réfléchi à la forme de ses lettres. Tous les petits écarts à la norme de son tracé peuvent tout à fait être considérés comme des personnalisations de l'écriture, parfaitement normales chez un adulte. Toutefois, le jeune enfant qui n'a pas encore automatisé son geste d'écriture est encore extrêmement sensible au modèle et n'est pas forcément capable de percevoir ce qui relève de la forme canonique de la lettre et ce qui relève de la personnalisation. Il est donc souhaitable de présenter un modèle beaucoup plus normé, non personnalisé.
La forme des lettres doit obéir aux règles définies par les programmes 2015 de maternelle :
- pas de cassure à l'intérieur des e
- pas de trait d'attaque avant les lettres rondes
- aucun œilleton lors des changements de direction
En reprenant le modèle de la phrase ci-dessus, tout en gardant le parti pris de la majuscule d'imprimerie, on obtiendrait quelque chose comme ceci :
Si on prend une phrase plus longue, présentant une majuscule cursive, des lettres à grandes boucles et des lettres qui pourraient avoir des œilletons (comme le r et le b), on obtient :
Écrire à voix haute
Lorsqu'on écrit au tableau devant les élèves, il est important d'oraliser, syllabe à syllabe, ce que l'on écrit au fur et à mesure que le geste progresse. Ainsi, l'élève se concentre plus sur le fond que sur la forme. En écrivant à voix haute, on renforce la liaison entre lecture et écriture et on incite nos élèves à oraliser eux-mêmes - à voix basse - leur écriture quand ils copient.
Ainsi, ils seront plus concentrés sur le texte, n'oublieront pas de mots (ou au contraire ne les copieront pas deux fois) et mémoriseront beaucoup mieux ce qu'ils écrivent, grâce à l'ancrage kinesthésique associé au son et au sens de ce qu'ils écrivent. Ce genre d'exercice, répété quotidiennement, apprend aux élèves à utiliser l'écriture comme moyen de mémorisation.
Il faut prendre garde, lorsqu'on écrit, à ne pas s'arrêter au milieu des mots. Seules les lettres rondes donneront lieu à un petit "saut" durant lequel la craie ne touche pas le tableau. Pour plus d'explications, je vous renvoie à l'article de ma collègue Anne-Gaël Tissot sur les lettres rondes. Par contre, on ne lève pas la craie au mileu du mot pour ajouter une barre de t, un point sur un i ou un accent : tous ces "passagers" de l'écriture descendront "à la gare", c'est-à-dire à la fin du mot.
Une belle écriture au tableau, au-delà du CP
En mettant en œuvre ces conseils simples, vous pourrez obtenir une écriture-modèle, ronde et régulière. Il est possible que vous ayez besoin de vous entraîner un peu les premiers temps, mais on prend vite le coup de main, surtout quand il n'est pas nécessaire de travailler sur la mobilité de ses doigts, mais seulement sur un geste de l'ensemble du bras.
En gardant en tête ces principes simples - écrire lentement et en oralisant syllabe à syllabe, simplifier les tracés, ne pas interrompre son geste inutilement - tout adulte est capable d'acquérir rapidement une "écriture de tableau" tout à fait satisfaisante. Il est plus difficile de garder l'horizontale à main levée : il ne faut pas hésiter, si vous ne disposez pas d'un tableau ligné, à tracer des lignes comme support de votre propre écriture.
Il me semble important que ces conseils soient mis en œuvre dans l'ensemble des classes de l'école primaire, et pas seulement au CP. En effet, l'apprentissage de l'écriture est un processus long et complexe, qui s'automatise petit à petit mais nécessite un entraînement quotidien, plus ou moins long selon les enfants. Il me semble donc essentiel que le bon modèle leur soit présenté, quotidiennement, durant plusieurs années, afin de consolider cet apprentissage essentiel.
Et n'oubliez pas : à l'école primaire, l'écriture, c'est tous les jours et en quantité suffisante !