Le temps consacré à l'écriture a diminué comme peau de chagrin
L'écriture est un programme sensori-moteur qui a besoin de temps pour s'automatiser.
On sait maintenant que, pour que l'enfant devienne un lecteur expert, le processus est long et doit être renforcé au cours de toute la scolarité. Plus personne ne pense qu'on apprend à lire au CP et qu'ensuite, il n'y a pas à revenir dessus. L'enseignant prête donc attention aux habitudes de lecture de l'enfant, veille à la quantité de lecture en classe, encourage la lecture-plaisir. La même attention est rarement portée à l'écriture : au-delà du CP, il est bien rare que l'écriture soit même présente à l'emploi du temps de la classe.
Le manque de temps, qui se ressent partout depuis la baisse drastique du temps d'enseignement imposée en 2008, est particulièrement sensible en la matière. Avec 24 heures par semaine, dont un certain nombre d'heures consacrées à l'anglais, à l'informatique, au développement durable, à l'éducation morale et civique et à divers projets plus ou moins chronophages, comment voulez-vous que les enseignants trouvent le temps de "faire écriture" au CE1 ? Alors, pour gagner du temps, on n'écrit plus. On distribue des photocopies que les élèves collent dans leur cahier.
Le problème, c'est que l'apprentissage de l'écriture, comme celui de la lecture, modifie l'organisation de notre cerveau. Les conditions de cet apprentissage sont également connues. Marieke Longcamp et Yannick Wamain, du Laboratoire de neurosciences cognitives du CNRS et Université de Toulouse III, constatent1 :
Certains groupes neuronaux, initialement impliqués dans les transformations visuomotrices et la programmation des mouvements de la main, se spécialisent dans l’écriture sous l’impulsion d’un apprentissage précoce, long et intensif.
Pour être efficace, l'apprentissage doit donc être précoce (commencé à l'école maternelle), long (poursuivi au-delà du CP) et intensif (plusieurs dizaines de minutes par jour). Or, c'est loin d'être le cas.
Marguerite Auzias, l'une des premières avec Julian de Ajuriaguerra à avoir travaillé sur les problèmes de dysgraphie, qui existaient déjà depuis longtemps, préconisait en 1966 de réduire le temps consacré à l'écriture à une demi-heure quotidienne après 7 ans. Il est bien clair qu'il s'agit là d'écriture en tant que telle et que ce temps s'ajoutait à tous les travaux écrits habituels. Et les enfants avaient classe 5 jours complets par semaine en 1966 (lundi, mardi, mercredi, vendredi, samedi).2
Diminuer le temps d'écriture à 2 h 30 par semaine semblait effectivement raisonnable. Mais depuis, le temps consacré à l'écriture n'a fait que continuer à baisser inexorablement. Je suis persuadée que le temps ainsi "gagné" est en fait perdu, puisque l'écriture manuelle est l'un des moyens les plus efficaces de renforcer et de consolider l'apprentissage de la lecture et du français. L'écriture doit être première par rapport à la lecture, ce que disaient déjà Maria Montessori, puis Célestin Freinet.
« Célestin Freinet et Maria Montessori ont affirmé en leurs temps que l’écriture est première et constitue un moyen privilégié pour accéder à la lecture. Pour le premier : le processus le plus naturel est celui-ci : traduction de la pensée par la parole, expression par le dessin puis l’écriture, reconnaissance des mots et des phrases, puis compréhension. Pour la seconde, il faut s'aider du concours de plusieurs sens : voir, toucher la lettre (elle utilisait un alphabet rugueux), entendre le son, reconnaître le graphème etc. Dans les deux cas, il y aurait une antériorité naturelle de l’écriture sur la lecture. »
Jean-Pierre Gaté, responsable du Groupe de recherche sur l’illettrisme de l’UCO
Lorsque l'élève colle la photocopie de la leçon dans son cahier, il ne s'entraîne guère qu'à... coller droit, dans le meilleur des cas. Lorsqu'il copie cette même leçon, il ne fait pas que la réviser, il entraîne aussi son geste d'écriture. Imagine-t-on un jeune conducteur à qui l'on dirait, sitôt son permis en poche : "Bien, tu sais conduire. À partir de maintenant, tu resteras sur le siège du passager et je conduirai, ça ira plus vite, puisque ta vitesse à toi est limitée en tant que jeune conducteur" ? C'est un peu ce qui se passe quand, après avoir passé deux ans à apprendre à écrire en GS et en CP, l'élève cesse de s'entraîner quotidiennement dès le CE1.
Troisième constat : on n'a plus le temps à l'école d'écrire suffisamment pour automatiser le geste.
1. Marieke Longcamp et Yannick Wamain, "Corrélats cérébraux de l'écriture", Troubles de l'écriture chez l'enfant, Des modèles à l'intervention, De Boeck Solal, 2013
2. Marguerite Auzias, L'Apprentissage de l'écriture, A. Colin, 1966
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