La place de l'écriture manuscrite n'a cessé de diminuer dans nos vies
L'écriture manuscrite a quasiment disparu de nos vies d'adultes. J'ai été frappée par cela en revoyant récemment un film des années 1970 : non seulement tous les personnages ont une cigarette à la bouche ou à la main en permanence, ce qui semble maintenant incongru, mais en plus ils passent leur temps à s'écrire des petits mots, recevoir ou envoyer des lettres, en lire, en relire... et quand d'aventure on les voit travailler, c'est le stylo à la main.
Journal intime, lettres et cartes postales aux amis et à la famille, poèmes qu'on écrivait pour soi-même... Nous utilisions, dès l'enfance, l'écriture manuscrite pour nous exprimer.
Cet extrait de journal intime a été emprunté au blog mercipourlechocolat.fr
Aujourd'hui, nous utilisons des claviers pour nous exprimer sur les réseaux sociaux. Cette évolution a pour conséquence que les enfants ne voient plus leurs parents écrire et n'investissent plus l'écriture de la même manière. Au lieu d'écrire leur Journal intime, ils passent du temps sur Facebook ou Instagram. Le cercle vicieux se referme : comme on écrit seulement à l'école, la main ne s'entraîne plus à la maison, donc on écrit moins vite par manque d'entraînement, donc écrire prend trop de temps à l'école, donc l'enseignant demande d'écrire encore moins, donc l'entraînement est encore plus insuffisant, etc.
Les moments où il nous faut absolument écrire à la main sont devenus rares dans nos vies d'adultes. On écrit sa liste de courses, on remplit un formulaire, on copie un texte de 10 lignes pour se porter caution, on écrit une adresse sur une enveloppe, la somme en lettres sur un chèque... même les lettres de félicitations ou de condoléances ont tendance à devenir des courriers électroniques.
Par ailleurs, à l'école, les lignes sont toujours utilisées comme punition.
On conçoit bien que l'écriture manuelle, qui n'est plus associée à l'expression de soi mais associée uniquement à l'école, à l'examen ou à la punition, n'ait guère la cote auprès des élèves...
Sans compter, bien entendu le fait que l'exposition immodérée aux écrans est génératrice de troubles de l'attention, de troubles du sommeil et d'échec scolaire. On ne compte plus les études prouvant que l'exposition précoce des jeunes enfants aux écrans est nuisible à tous points de vue, ce qui n'empêche pas l'Éducation nationale, de manière extrêmement surprenante, de faire du développement du numérique à l'école, y compris maternelle, une priorité. On voit par exemple, relayé sur le site de la ministre de l'Éducation nationale, les projets d'Intuiscript, cahier numérique de l'écolier...
Les enseignants qui continuent, envers et contre tout, à vouloir donner à leurs élèves le goût de l'écriture et qui les encouragent à s'approprier l'écriture manuscrite comme moyen d'expression sont pourtant nombreux, mais malheureusement pas majoritaires. On voit heureusement des blogueuses très suivies, comme Zaubette, qui mettent en place des calendriers d'écriture afin de proposer à leurs élèves d'écrire tous les jours. Et ça marche ! Quand on leur en donne les moyens, les enfants se saisissent de l'écriture et en font ce qu'ils veulent. Le savoir est toujours émancipateur.
L'enseignant qui confisque le "mot doux" envoyé à un camarade durant la classe jubile en son for intérieur : le jour où les élèves utilisent l'écriture pour s'exprimer en cachette, c'est gagné !
Sans parler de la joie, bien sûr, pour le maître ou la maîtresse, de recevoir des petits mots, comme celui-ci, que j'ai toujours gardé, d'un élève considéré comme en grande difficulté. Il avait chipé un morceau de feuille pour m'envoyer une adorable déclaration en fin de CP ! On notera que ce pourquoi il remerciait n'était pas la sortie de fin d'année, les petits cadeaux que j'avais offerts ou les moments de détente : non, c'était d'avoir appris "tous ces sons" qui réjouissait tant Aïssa1.
En fin de rééducation d'écriture, je propose à mes élèves d'écrire "pour eux" : recettes de cuisine, biographies de joueurs de foot, fiches sur les dinosaures, romans, monographie sur Star Wars, carnets de voyages... ils ont eu nombre d'idées pour se réapproprier l'écriture et en faire un véritable moyen d'expression.
Huitième constat : l'écriture est bien souvent reléguée au domaine scolaire et seuls les claviers sont utilisés pour s'exprimer.
1. L'orthographe d'Aïssa, en fin de CP, est encore en construction. On notera qu'il segmente correctement les mots, fait usage des majuscules pour les noms propres et pour ce qu'il perçoit comme étant le début de la phrase, mais aussi qu'il a mémorisé certaines formes (est, c'est, malheureusement utilisées à mauvais escient). Sa graphie reste maladroite mais est correcte. Le mot "gentite" témoigne de sa méconnaissance de certaines formes du français, qu'il transcrit comme il le prononce. Néanmoins, cet élève, l'un des plus faibles de ma classe de CP de ZEP cette année-là, a acquis suffisamment de bases pour pouvoir suivre avec profit un CE1. Si par la suite mes collègues ont continué à le faire écrire quotidiennement, avec une exigence orthographique, et en lui conseillant peut-être d'oraliser son écriture, il doit maintenant être un bon élève de CM2. Je l'espère très sincèrement.
Alors, que faire ?
Après ces huit épisodes, il est temps de proposer des solutions. Il est bien évident qu'à mon humble niveau, je ne peux que donner des pistes, en espérant sincèrement être utile aux collègues.
Les solutions ne peuvent pas toutes être individuelles. Tant que l'institution privilégiera l'accumulation de diplômes par rapport à la maîtrise de la langue pour recruter des enseignants, tant qu'elle utilisera les moyens disponibles pour inonder les établissements scolaires de tablettes, tant que les ministres de l'Éducation nationale signeront des accords avec Microsoft, tant que les lieux scolaires seront dévolus à l'animation plus de la moitié du temps, le problème continuera à s'aggraver.
On peut néanmoins, en tant qu'enseignant, aller à contre-courant en appliquant quelques règles simples :
- attacher une grande importance à l'enseignement, dès la maternelle, de la tenue du crayon et de la posture
- toujours partir du geste pour aller vers la trace, plutôt que de montrer un modèle à reproduire
- toujours lier écriture et lecture, en choisissant une méthode de lecture de qualité1 et en faisant oraliser l'élève, syllabe à syllabe, lorsqu'il écrit
- consacrer un temps suffisant à l'écriture manuscrite en classe, au-delà du CP, pour que l'entraînement permette l'automatisation
- éviter textes à trous et photocopies
- systématiquement guider les enfants afin de les amener à écrire sans fautes, pour qu'ils prennent de bonnes habitudes
- éviter l'évaluation de micro-compétences incompréhensibles et chronophages, privilégier des intitulés simples, courts et peu nombreux
- inciter les enfants à s'approprier l'écriture en l'utilisant pour eux-mêmes
1. De nombreuses méthodes efficaces existent. La méthode phonético-gestuelle, inventée par Suzanne Borel-Maisonny, est excellente. On la trouve en librairie sous le titre Bien lire et aimer lire, de Clotilde Sylvestre de Sacy, éd. ESF. Les enseignants de maternelle utiliseront avec profit la méthode des Alphas, appréciée des petits. Sinon, d'expérience personnelle, je recommande vivement :
- Ecrire et lire au CP, de Catherine Huby, éd. GRIP
- Bulle, avec des textes de Marie-Aude Murail, éd. Bordas
Épisodes précédents :
Pour en savoir plus sur la rééducation de l'écriture :
association de rééducateurs en écriture indépendants
Formations pour enseignants :