L'expression écrite au cours élémentaire est un sujet qui m'a posé problème pendant longtemps quand j'étais devant ma classe. Je suis bien persuadée, comme disait Raymond Queneau, que "C'est en écrivant qu'on devient écriveron". Mais écrire suffit-il à savoir écrire ?
J'étais toujours prise entre deux feux : d'un côté, je voulais que les enfants puissent s'exprimer et que l'écrit soit pour eux un espace de liberté et de fantaisie ; de l'autre, quand je voyais les "cahiers d'écrivains" emplis d'un gloubi-boulga à peine lisible, où il fallait deviner ce que l'enfant avait bien pu vouloir raconter, je voyais bien qu'on n'était pas dans la bonne direction et que la maîtrise de la langue écrite était indispensable à une expression de qualité.
Ce sont deux enseignantes blogueuses, Zaubette et Tinsel, qui m'ont aidée à prendre conscience de la bonne manière de mettre en place la production d'écrits dès le cycle 2. Car la production d'écrits, apprise de manière raisonnée et structurée, est un préalable indispensable à une véritable expression écrite.
Je suis bien contente d'avoir suggéré à Caroline Gombert et Chloé Denmat, pour les appeler par leurs vrais noms, de proposer leur formidable méthode aux éditions MDI, qui éditent mes cahiers d'écriture, et qui l'ont accepté. Ce fut un énorme travail et j'attendais le résultat avec impatience.
Je n'ai pas été déçue ! La version éditée est bien plus riche et complète que la version d'origine, que je présente en formation depuis plusieurs années.
La production d'écrits pas à pas pour les CE1 et CE2
Il s'agit d'un gros fichier photocopiable, de près de 300 pages, qui se présente sous forme de fiches perforées collées entre elles mais faciles à détacher pour les ranger dans un classeur. Il est complété par des ressources numériques - les images en couleurs à projeter, mais aussi une version interactive de la carte mentale, les leçons en couleurs et les corrigés.
Le principe est simple : l'année est divisée en cinq périodes, qui comportent chacune quatre ou cinq leçons progressives et deux ateliers d'écriture au choix. Pourquoi deux ? Parce que le double niveau CE1-CE2 est fréquent et il faut que l'enseignant puisse utiliser la méthode avec les mêmes élèves deux ans de suite. Il lui suffit alors d'alterner entre les deux ateliers pour que les élèves puissent réaliser une production écrite différente la deuxième année. Par exemple, sur le texte injonctif, on peut choisir entre la recette de cuisine et la fiche de fabrication.
Le principe de 1,2,3 Parcours est le suivant : chaque fiche est déclinée en trois options. Le parcours 1 s'adresse à des élèves plus faibles - par exemple des élèves allophones, ou faibles lecteurs-scripteurs à la sortie du CP. Il donne un étayage plus conséquent. Le parcours 2 est destiné aux élèves de CE1, mais peut être proposé à des élèves de CE2 en difficultés. Le parcours 3 correspond au niveau CE2, mais rien n'empêche de le proposer à un élève de CE1 qui en serait capable.
Pour chaque période, on a donc :
- 4 ou 5 leçons, composées chacune d'une fiche pour l'enseignant (objectifs, déroulé, critères de différenciation), une fiche de vocabulaire et trois fiches de travail pour les élèves.
- 2 ateliers de production écrite (au choix), composés chacun d'une fiche pour l'enseignant et de trois fiches pour les élèves détaillées.
Construire ensemble une carte mentale et un cahier de vocabulaire
Au fil de l'année, les élèves sont invités à construire leur carte mentale, organisée en trois grands domaines : "je construis ma phrase", "j'écris ma phrase", "j'organise mon texte".
Ce document les accompagne au fil des leçons et leur permet d'intégrer chaque élément progressivement. En effet, il me semble tout à fait illusoire de donner à un élève une longue "check list" sans que chacun des éléments de cette liste ne soit véritablement travaillé et assimilé à part.
Le fichier nous prend par la main et nous indique, étape par étape, quel élément ajouter à la carte mentale et à quoi la carte doit ressembler à la fin de la période.
Les fiches de vocabulaire sont nombreuses - une par leçon, comportant un grand nombre de mots organisés et illustrés. Ces mots sont écrits en cursive (avec la police Belle Allure, qui est utilisée dans Mes cahiers d'écriture) pour inciter les élèves à les recopier. Chaque élève se crée ainsi son propre cahier de vocabulaire, en accumulant les fiches au fil des semaines.
On pourrait imaginer, en plus de cet outil (cahier avec les fiches collées ou porte-vues), la création d'un véritable carnet de vocabulaire, où chaque élève sélectionnerait et illustrerait les mots qu'il veut apprendre. Cela lui permettrait de les écrire à la main, renforçant ainsi sa connaissance de leur orthographe.
Pour la première fiche présentant les noms de personnes, par exemple on voit l'image d'une petite fille à côté de laquelle il est écrit, en police cursive : "une enfant / une fille / une fillette / une sœur / une copine". On pourrait faire dessiner une petite fille sur le carnet de vocabulaire, de petit format, de chaque enfant. Les élèves de CE1 écriraient "une enfant, une fille, une copine" et les élèves de CE2 "une fillette, une sœur", mots bien plus difficiles à orthographier. Cette manière de faire prendrait plus de temps, bien entendu, et n'est pas incompatible avec le fait de conserver les fiches de vocabulaire pour s'y référer en production écrite.
Vers l'expression écrite
La méthode est très cadrée, très rigoureuse. Elle laisse la place à de nombreux essais - d'ailleurs, pour chaque petit texte à produire, deux espaces sont prévus : l'un, symbolisé par un crayon, pour écrire son premier jet, l'autre, symbolisé par un stylo, pour rédiger une version corrigée au propre.
À la fin de chaque période, l'enseignant choisit l'un des deux ateliers d'expression écrite qui sont proposés. C'est l'occasion pour l'élève d'utiliser tout ce qu'il a appris pour rédiger un type de texte précis : un texte injonctif, une lettre, un texte informatif, un texte explicatif, un texte descriptif. Cette manière de travailler par thème et par type de texte me semble très pertinente. C'est déjà celle que nous avions choisie, avec Samir Editeur, pour la méthode de français Archilecture que j'ai coécrite il y a une dizaine d'années.
La méthode est donc très rigoureuse, mais une place est cependant laissée à la fantaisie. Les enfants auront ainsi plaisir, dans le module sur le portrait, à décrire un monstre sorti tout droit de leur imagination ! À la fin de la méthode, la dernière consigne est : "décris une maison qui vole, une maison en frites... puis dessine-la !" Toutes les connaissances accumulées en termes de vocabulaire, de syntaxe, de construction de textes peuvent ainsi être mises au service de la créativité des enfants. On pourrait d'ailleurs ajouter un peu plus de fantaisie, au gré des envies de l'enseignant. Pour la partie sur les métiers, par exemple, on pourrait ajouter un fildefériste, un contorsionniste, un dompteur de dragons et même un testeur d'oreillers ! Je suis sûre que les élèves apprécieraient une séance où le but est de trouver le métier le plus original possible, pour l'ajouter à son carnet de vocabulaire...
Au fil de l'année, les élèves s'empareront certainement des techniques de rédaction pour les mettre au service de leurs propres textes. L'enseignant veillera, dans les moments plus libres de rédaction individuelle ou collective, à réactiver les connaissances accumulées grâce à la méthode. Par exemple, si les élèves, suite à une sortie au cinéma ou au théâtre, sont invités à imaginer une fin alternative à l'histoire qu'ils ont vue, on utilisera la carte mentale, au stade où elle en est, pour améliorer la production.
Mais là où la méthode prouvera vraiment son efficacité, c'est quand les enfants s'en saisiront spontanément pour écrire un mot à leur camarade, envoyer une lettre à leur cousin, écrire une histoire pour leur petite sœur ou rédiger le programme d'un spectacle qu'ils créent pour leur famille.
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez aller lire l'article de Zaubette, qui présente elle-même la méthode sur son blog.