latéralitéLe 13 août était, paraît-il, la journée des gauchers. A cette occasion, Libération a mis en ligne une petite vidéo qui pose un certain nombre de questions. Pascale Chavonnet, graphothérapeute et gauchère, y est interviewée, ainsi que différentes personnes concernées. Le titre en est provocateur : « On est toujours contrariés ! »

En tant que rééducatrice en écriture – et, accessoirement, mère de deux gauchères –, j’ai eu envie de réagir à ce court reportage qui me semble un peu tout mélanger.

D’une part, on voit des personnes se plaindre d’être ressenties comme différentes. Sur ce point, je n’ai rien à contester. Les gauchers évoluent, et ont toujours évolué, dans un monde de droitiers, c’est un fait. Certains le vivent comme une source de discrimation, d'autres comme un élément positif.

D’autre part, la graphothérapeute interviewée donne son avis de professionnelle de l’écriture. Comme les questions ne sont pas posées à l’antenne, il est difficile de savoir exactement à quoi elle répond et le montage peut aussi avoir donné une impression fausse de ses propos. Je voudrais néanmoins revenir sur certains points.

L'écriture en miroir

Dans un premier temps, elle évoque les personnes âgées qui ont pu être contrariées dans leur enfance. Ensuite, elle parle d’adolescents qui seraient contrariés (par l’école ? la famille ? la question n’est pas évoquée), puis des enfants qui écrivent en miroir. Je tiens à faire remarquer que le fait d’écrire en miroir n’est pas du tout spécifique aux gauchers, mais est commun à tous les enfants mal latéralisés et n’est pas du tout inquiétant à 4 ou 5 ans. Les chiffres, dont le sens est plus difficile à repérer car ils ne s’inscrivent pas dans une continuité, sont parfois écrits en miroir par les enfants – droitiers comme gauchers – jusqu’au CE2, sans que cela pose de véritable problème.

L'inclinaison de la feuille

Pascale Chavonnet évoque ensuite les problèmes psychologiques qui peuvent être ressentis par les enfants gauchers, plus ou moins victimes de discriminations dans leur entourage. L’exemple donné pose problème : un enfant de 8 ans qui inclinait son cahier « de gauche à droite » et que la maîtresse a obligé à changer l’inclinaison de sa feuille. La vidéo mise en illustration montre une adulte gauchère écrivant avec le poignet cassé et, effectivement, la feuille inclinée dans le « mauvais » sens, c’est-à-dire qui fait un angle à 90° avec l’avant-bras, alors que la position de confort est la feuille dans le sens de l’avant-bras.

Libé gaucher

Pour comparaison, voici un gaucher qui tient bien son crayon. On voit que la feuille est effectivement inclinée dans l’autre sens.

Aurélien

Dans l’anecdote en question, on se demande cependant si la maîtresse ne s’est pas contentée de scotcher la feuille de l’enfant, sans lui faire rectifier au préalable sa position de main, ce qui engendrerait douleur et inconfort, comme l’a justement fait remarquer Mme Chavonnet.

La tenue du stylo

On voit plus loin la thérapeute faire un exercice, on se rend bien compte qu’elle tient son crayon correctement. Mais la vidéo insérée laisse à penser qu’il est souhaitable, pour un gaucher, de casser son poignet et de poser sa feuille à l’envers. Or, il n’en est rien. On aurait souhaité entendre la professionnelle s’exprimer sur la tenue du crayon correcte pour un gaucher.

On notera que quand les langues s’écrivent de droite à gauche, personne ne songe à dire que les droitiers sont désavantagés par rapport aux gauchers ! Voici la capture d’écran d’un cours d’arabe en ligne pour débutant :

arabe

Et celle d’un cours d’hébreu en ligne pour débutants :

hébreu

Les droitiers peuvent donc écrire de droite à gauche, de même que les gauchers peuvent écrire de gauche à droite, sans se casser le poignet. J’ai d’ailleurs un certain nombre d’élèves qui sont dans des écoles bilingues et passent d’un sens d'écriture à l’autre sans modifier leur tenue de crayon.

Les gauchers peuvent-ils écrire au stylo à plume ?

Mme Chavonnet indique ensuite que les enfants gauchers sont prédisposés à être plus en difficulté que les droitiers avec un stylo-plume. Cela ne repose à mon sens sur rien de tangible : si un gaucher tient son stylo correctement, il n’a aucune raison d’être plus en difficulté qu’un droitier. De nombreux fabriquants de stylos pour enfants proposent d’ailleurs des modèles spécifiques pour les gauchers, qui inversent les encoches destinées à poser les doigts. En voici un exemple (de nombreuses autres marques proposent des modèles similaires) :

stylo gaucher

Le modèle doit-il être à droite pour les gauchers ?

Un père d’élève, interviewé ensuite, demande à ce que les modèles pour gauchers soient écrits à droite de la page. Cette pratique me semble inutile. Un gaucher doit pouvoir voir ce qui est à gauche de sa plume, ne serait-ce que pour pouvoir lire ce qu’il écrit. Il n’y a aucune raison qu’il ait un modèle à droite ; c’est une gêne pour la progression dans la page : normalement, l’enfant doit partir du modèle et avancer, pas aller en direction du modèle ! D’ailleurs, dès que les modèles s’allongent, devenant des mots, puis des phrases, on perçoit bien à quel point un modèle à droite bride l’avancée dans la ligne, empêchant l’enfant de prendre ses repères et d’aller à la ligne s’il arrive au bout.

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Quel aménagement spécifique pour les gauchers ?

Est-ce à dire qu’aucun aménagement n’est jamais à prévoir pour les gauchers ? Je ne pense pas. La première dame interviewée dans le reportage indique qu’il lui arrive, à table, de se retrouver à donner et recevoir des coups de coude : la même chose risque de se passer en classe si on assied un gaucher à droite d’un droitier. Les deux élèves risquent de se gêner mutuellement pour écrire. Il vaut donc mieux asseoir les gauchers en bout de rangée à gauche... ou à droite d’un autre gaucher !

On trouve d'ailleurs des recommandations similaires sur le site lesgauchers.com : www.les-gauchers.com/education/preconisations-aux-enseignants-de-lecole-primaire

De plus, je pense qu'il est important que l'enseignant aille voir chaque enfant gaucher pour vérifier sa tenue de crayon. Je vois trop de collègues qui me disent « Il tient mal son crayon, mais c'est normal, c'est un gaucher » ou « Il écrit à l'envers, c'est un gaucher ». Le rôle de l'enseignant est de corriger la mauvaise posture de tous les élèves, sans discrimination.

Si l'enseignant est droitier, se pose la question du guidage de la main (la même question se pose pour les enseignants gauchers et leurs élèves droitiers, d'ailleurs) : certains n'arrivent pas à avoir un geste assez ferme et rassurant avec leur main controlatérale pour guider correctement la main de l'enfant. Dans ce cas, mon conseil est de s'installer en face de l'enfant, de l'autre côté de la table, et de guider sa main gauche avec notre main droite (et réciproquement). Il est souvent plus facile pour un enseignant de réaliser le geste d'écriture à l'envers – tous les enseignants de CP savent déjà lire à l'envers ! – qu'avec sa mauvaise main.

L'enfant est-il vraiment gaucher ?

Enfin, face à un gaucher qui rencontre des difficultés d'écriture, il faut aussi se poser la question de savoir si l'élève est un véritable gaucher ou s'il s'agit d'un droitier contrarié. Observez l'enfant : sur quelle épaule met-il son cartable en premier ? Quelle main utilise-t-il pour lever le doigt ? Pour désigner ? Pour frotter une tache ? En cas de doute, il ne faut pas hésiter à faire tester l'enfant, une relatéralisation peut être nécessaire.

Vous trouverez sur ce site l'exemple d'Aymé, 7 ans, droitier contrarié...


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Une page de fin de CP, écrite de la main gauche.
Aymé avant


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Une dictée de CE1, en novembre 2013, écrite de la main droite.

Aymé après 30.11.13

 

Les graphopédagogues 5E sont tous à même de faire passer un test de latéralité à un enfant, si vous avez le moindre doute.

 

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