La semaine dernière, j'ai analysé les programmes de français de maternelle, du point de vue de l'écriture et de la lecture. Cette semaine, j'en ai fait autant pour les programmes de cycle 2, qui viennent aussi de paraître au BO.

J'ai regardé rapidement tout ce qui concerne le langage oral et le vocabulaire, qui ne sont pas mes spécialités (même si bien sûr le sujet m'intéresse). Puis j'ai décortiqué tout ce qui concerne la lecture et l'écriture.

Et là, je dois dire que j'ai été très agréablement surprise.

 

Le plaisir de lire mis en avant

Contrairement aux programmes de maternelle, qui ne mettent en avant que la progressivité des apprentissages, la mémorisation et le déchiffrage, le projet annoncé au cycle 2 est bien plus humaniste : "Il s’agit de cultiver leur goût personnel, d’éveiller leur plaisir de lire et leur envie d’apprendre."

Certes, l'humour, la joie, la fantaisie ne sont toujours pas au programme - et c'est bien dommage. Mais au moins on évoque les goûts personnels, les choix de lecture et la variété des textes à lire : l'élève "lit et étudie 5 à 10 œuvres issues du patrimoine et de la littérature de jeunesse : contes, fables, récits, poèmes, pièces de théâtre, albums et textes documentaires." Si je me souviens bien, cette idée de faire lire aux élèves de véritables œuvres et pas seulement des extraits était très présente dans les programmes de 2002, puis avait disparu par la suite. Elle me semble importante.

La variété des genres littéraires me semble aussi positive, ainsi que la mention explicite à la fois de la littérature de jeunesse et du patrimoine. Il me paraît opportun de proposer aux élèves aussi bien une fable de La Fontaine, une pièce de Molière et un conte de Mme Leprince de Beaumont que des textes plus contemporains, allant d'Astrid Lingren ou Roald Dahl à Marie-Aude Murail ou Jean-Claude Mourlevat.

 

Une vraie place pour le théâtre

Le théâtre, trop souvent parent pauvre à l'école, est mis à l'honneur dans les nouveaux programmes et je m'en réjouis. Au CE1, est ainsi proposé comme exemple de réussite, dans le domaine "lire à voix haute" : "L’élève est capable de lire une scène de théâtre en incarnant un personnage et en jouant de l’expressivité de la ponctuation."

On croit souvent que "faire du théâtre" en classe consiste à monter une ou plusieurs scènes pour le spectacle de fin d'année. Bien entendu, la présentation d'un véritable spectacle, avec costumes et décors, est un projet magnifique, qui peut être très motivant et riche pour les élèves. Mais il ne faut pas croire que c'est la seule modalité possible pour s'approprier un texte théâtral en classe.

Ici, les programmes proposent d'utiliser les textes théâtraux comme support de lecture, pour apprendre à incarner un personnage et jouer sur l'expressivité de sa voix.

J'ai écrit, il y a quelques mois, un article qui s'intitule Faites lire du théâtre aux enfants ! et qui va dans le même sens. Muriel Guitton, créatrice de la maison d'éditions Goutte d'encre, qui se spécialise dans le théâtre jeune public, publie sur Instagram de très nombreuses idées pour faire vivre les textes théâtraux dans sa classe. Elle y donne de très nombreuses pistes qui seront utiles aux enseignants.

 

La lecture sous tous ses aspects

La lecture est véritablement abordée sous tous ses aspects, avec ses trois facettes :

"- l’apprentissage puis l’automatisation du décodage ;
- la lecture à voix haute ;
- la compréhension de textes dans toutes les disciplines."

Ces trois entrées doivent être travaillées de manière parallèle et complémentaire. C’est en effet l’accès à la compréhension des textes de tout type qui confère du sens à l’apprentissage de la lecture et la pratique de la lecture à voix haute qui, outre son effet sur l’automatisation, construit et révèle la juste compréhension des textes.

Je me réjouis que l'aspect indispensable du décodage et de son automatisation ne soit pas négligé, comme il l'a été dans le passé, mais ne prenne pas non plus toute la place, comme il a eu tendance à le faire récemment.

La lecture à voix haute, modalité indispensable à la mise en place du lien entre l'écrit et l'oral, est mise à l'honneur de manière systématique. C'est une excellente chose. Ainsi, il est dit que l'élève de cycle 2 "oralise ce qu’il écrit en phase d’apprentissage de la lecture". J'irais plus loin en conseillant de continuer à oraliser à voix basse, même une fois la lecture acquise. Mais c'est déjà un immense pas en avant par rapport à l'exigence prématurée de lecture et d'écriture silencieuse qui a longtemps prévalu.

La compréhension est également mise en avant et il est dit, dès le CP, que "L’élève est capable de construire une représentation mentale au fur et à mesure que se déroule la lecture." Cet aspect me semble absolument indispensable. J'espère que les méthodes de lecture égrenant à l'envi des syllabes, des pseudo-mots, des mots isolés puis des phrases sans grand sens, voire des textes entiers totalement creux et absurdes, laisseront la place à des manuels proposant très vite, passée la phase indispensable d'apprentissage des premiers sons, des textes intéressants.

Voici comme illustration deux petits textes, tous les deux extraits de méthodes de lecture de CP1 au moment de l'apprentissage du son "ou".

Les deux textes sont assez artificiels, car ils sont construits à la fois pour introduire à de multiples reprises le son "ou" et pour éviter les sons qui n'ont pas encore été appris. Ils ont des tailles à peu près similaires - sachant que dans le premier, il y a trois niveaux différents (on a ici le niveau trois) et pas dans le second.

Je vous invite à lire les deux textes et à essayer de vous faire une image mentale de chacun d'eux, comme cela est demandé dans les programmes.

Dans le premier, vous voyez un loup qui court, qui rate une marche (il était donc dans un escalier ?), qui tombe dans un trou (au bas de l'escalier ?), qui a mal, qui crie. Arrive un hibou, qui lui donne une soupe miraculeuse qui guérit le bobo. Et à ce moment-là, le loup dévore une poule.

Dans le second, vous voyez une petite fille qui arrive à l'école, qui appelle ses copines et ses copains, puis qui joue à chat avec eux.

À mon humble avis, il est bien plus difficile de "construire une image mentale au fur et à mesure que se déroule la lecture" du premier texte, assez incohérent et qui n'a aucune logique interne.

Voici deux autres exemples, tirés également de manuels de CP2.

  Pilotis ou

On voit là encore comment l'un des textes est facile et agréable à lire et à visualiser, tandis que l'autre, surchargé de "repères" (arcs sous les syllabes, lettres muettes grisées) qui gênent la lecture, est aussi très difficile à visualiser. Pouvez-vous facilement vous représenter un ours qui fait la roue et sourit sous un lit, en compagnie d'une souris et d'une fourmi ?

J'espère donc que les programmes seront pris au sérieux et inciteront à donner aux enfants des manuels contenant des textes intéressants.

Une phrase, cependant, m'a fait bondir : "Les supports consacrés aux activités de décodage doivent être distincts, dans un premier temps, de ceux consacrés à l’acquisition des stratégies de compréhension". Pour moi, cette phrase détruit tous les efforts visant à obtenir une lecture fluide et efficace : si la compréhension ne peut être exercée que sur des livres lus par l'enseignant ou un adulte expert, quel est l'intérêt pour l'enfant d'apprendre à lire ? Il me semble essentiel, au contraire, de travailler la compréhension à partir des textes véritablement lus par l'enfant. Ce qui n'empêche en rien, bien sûr, de compléter par des lectures magistrales et des lectures offertes !

 

 

Lire avec un chronomètre ?

Un autre aspect m'a chiffonnée dans ces programmes : l'obsession pour la quantification et l'évaluation.

Des repères chiffrés sont donnés : déchiffrer 15 à 30 mots par minute au CP, 30 mots minimum sans préparation en fin de CP et 50 avec préparation, 70 mots par minute fin CE1, 90 mots par minute au CE2. Et une tâche est assignée à l'enseignant : "Il mesure la vitesse de lecture (des mots et des textes) des élèves afin de constituer des groupes qui permettront d’automatiser le décodage."

Il est tout à fait vrai qu'une certaine rapidité de lecture est indispensable pour parvenir à la compréhension. Mais mesurer cette rapidité au chronomètre, c'est confondre la fin et les moyens. La meilleure manière de vérifier que la vitesse est suffisante pour mener à la compréhension... c'est de vérifier la compréhension ! L'entraînement permettra d'accélérer, sans avoir besoin de chiffrer quoi que ce soit.

De nombreux enfants se figent ou paniquent face à un chronomètre. Et il n'est pas rare que les adultes fassent de même ! Qui n'a jamais perdu ses moyens dans une situation de stress ?

Certains élèves ont au contraire le goût de la compétition. Pour gagner la course contre la montre, ils débitent à toute vitesse le texte qui est sous leurs yeux. C'est ce que j'ai appelé la lecture-mitraillette.

Pour moi, ces mesures chiffrées, si elles peuvent à la rigueur constituer des repères pour un enseignant qui n'aurait aucune idée de la vitesse normale de lecture d'un enfant de tel ou tel âge, sont à bannir au quotidien. Et si jamais on veut mesurer la vitesse de lecture d'un élève, pour se rassurer, il faudrait le faire discrètement, quand l'élève lit normalement sans se savoir évalué et reste focalisé sur la compréhension.

 

L'écriture

La partie "écriture" des programmes est riche et donne enfin toute sa place à cet apprentissage fondamental. Quatre compétences sont identifiées :

- apprendre à écrire en cursive
- encoder puis écrire sous dictée
- copier et acquérir des stratégies de copie
- produire des écrits


J'aime bien cette liste, car elle va vraiment du simple vers le complexe et commence par le geste graphique. La seule chose qui me gêne est cette phrase : "Apprendre à écrire en écriture cursive tous les graphèmes étudiés selon la progression en décodage." (c'est moi qui souligne). Les rédacteurs des programmes ne peuvent ignorer que la progression d'apprentissage du geste de l'écriture cursive est différente de la progression en décodage. Une solution plus nuancée permettrait de respecter cette progression et ainsi de favoriser un geste fluide. J'ai écrit un long article là-dessus il y a quelques années, qui s'intitule Liaison écriture / lecture, la quadrature du cercle.

Cette réserve étant émise, je me réjouis que le geste d'écriture soit clairement mis en avant de manière très précise : "Le professeur exerce une vigilance quant à la posture de l’élève lorsqu’il écrit : station assise confortable, libération du haut du corps, décontraction de l’épaule et du coude, appui du poignet et bonne utilisation des outils (bonne préhension du crayon, du support d’écriture, etc.)"

Les exemples de réussite en CP vont dans le même sens :

"- L’élève respecte la forme et la taille de la lettre, le sens de rotation du tracé et l’enchainement des lettres.
- Il est capable d’enchainer plusieurs lettres sans lever le crayon (sauf devant les lettres rondes : a, c, d, g, o, q, x)".

Mieux encore, il est précisé que l'élève "oralise ce qu'il écrit", ce qui est une étape essentielle. J'espère qu'on va avoir beaucoup plus de murmures dans les classes de CP quand les enfants écrivent !

Les techniques de stratégies de copie sont aussi listées : verbalisation, prise d'indices, mémorisation...

La dictée à l'adulte, si importante pour la familiarisation avec le language écrit, est explicitement mentionnée comme devant être pratiquée à l'école élémentaire.

Les majuscules cursives, dont l'apprentissage avait été oublié dans les précédents programmes, doivent être apprises en deuxième partie de CE1 (je suppose qu'il faut comprendre : après la Toussaint, en deuxième période) et par famille de gestes. Un exemple est même donné pour expliquer ce qu'est une famille de gestes. Le cahier d’écriture CE1-CE2 que je propose depuis 2019 procède exactement de cette manière.

Il est précisé régulièrement que l'écriture manuscrite doit être une activité quotidienne pour pouvoir s'ancrer durablement. L'élève n'est pas incité à écrire de longs textes avant de savoir le faire, mais à développer ses compétences par étapes, tout en exerçant sa vigilance orthographique. La production d'écrit est également très encadrée. La démarche est la même que celle du fichier que viennent de publier Caroline Gombert et Chloé Denmat chez MDI, et qui accompagne pas à pas la production d'écrits au cours élémentaire. Je m'en réjouis.

 

Plusieurs pas en avant dans la bonne direction

Autant les programmes de maternelle, avec leur vision mécaniste des apprentissages et l'absence de place faite à la créativité, à l'humour et au jeu, m'avaient laissé une impression amère, autant les programmes de français du cycle 2 me semblent aller dans la bonne direction.

J'ai émis plusieurs réserves, bien entendu, sur des points qui me paraissent importants. Mais si tous les enseignants de France et de Navarre se mettent à prêter attention à la posture et au geste graphique, à envisager l'enseignement des lettres (ne serait-ce que majuscules, dans un premier temps) par familles de forme, à faire lire et écrire à voix haute, à mettre l'accent sur la compréhension fine des textes et à travailler explicitement les stratégies de copie... j'ouvre le champagne !

 

 

1. Le premier texte est extrait de la méthode Lecture Piano, qui a été beaucoup mise en avant par la hiérarchie ces dernières années malgré son contenu très pauvre. Le deuxième vient de la méthode de Catherine Huby, Écrire et lire au CP.

2. Le premier texte est extrait de Bulle, méthode dont les textes ont été écrits par Marie-Aude Murail. Le second est extrait de Pilotis.

 

 

 

 

 

 

 

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