Acquérir une grammaire fonctionnelle pour améliorer son orthographe

La plupart des élèves qui viennent me voir souhaitent avant tout améliorer leur orthographe. Souvent, ils s’inquiètent des listes de mots à apprendre, des lettres muettes, des multiples manières de retranscrire un même son… Ils n’ont pas tort ! L’orthographe lexicale française est connue pour être particulièrement retorse.

Cependant, en examinant leurs écrits, je fais invariablement le même constat : en supprimant les problèmes de grammaire dans leurs textes, on enlève la grande majorité des erreurs. Or, celles-ci ne sont généralement pas dues à de l’étourderie, ni même à de mauvaises stratégies de relecture, mais à des lacunes dans leur compréhension de la grammaire française de base.

Dans un article de 2008, la linguiste Danièle Manesse cite une recherche selon laquelle « la dégringolade de l’orthographe grammaticale est la cause du recul notable des performances des élèves de l’école obligatoire en matière d’orthographe ». Elle en appelle à « un enseignement minimal et suffisant de la grammaire », et je la rejoins tout à fait sur ce point.  

 

Il n'y a que trois catégories de mots !

Mon premier objectif est simple : que les élèves soient en mesure de distinguer les trois catégories de base dans lesquelles on peut classer les mots : les mots qui s’accordent, les mots qui se conjuguent et les mots invariables. Or, un grand nombre d’écoliers, de collégiens, voire de lycéens et d’adultes n’ont pas intégré ces différences.

En donnant mes premiers cours, je me suis très vite heurtée à cette difficulté. Je conseillais par exemple à mes élèves de repérer les noms, les adjectifs et les déterminants dans leurs textes pour vérifier les accords, et me rendais alors compte qu’ils confondaient adjectifs et adverbes, ou déterminants et pronoms – pas étonnant, dans ces cas-là, d’écrire « ils sont vraiments heureux » ou « sa n’est pas possible ! »

Pour remédier à ce problème, je fais un va-et-vient entre production de textes (avec mise en place de stratégies de relecture) et activités grammaticales. Beaucoup d’élèves ne comprennent pas que ce qu’ils apprennent en leçon de grammaire peut leur servir dans leurs propres écrits, et il est important de faire ce lien en permanence.  

L’image que j’utilise le plus souvent pour convaincre les enfants de s’intéresser à la grammaire est celle du jeu vidéo : pour gagner la partie (c'est-à-dire écrire sans erreurs), il faut connaitre les règles ; si on essaye de vaincre le méchant en lui sautant sur la tête alors qu’il fallait envoyer des lasers, ça ne marchera pas. On peut aussi recourir à une métaphore culinaire : conjuguer un nom, c’est comme rajouter du ketchup dans sa tarte au citron, pas bon.

Il est crucial de présenter une progression grammaticale très claire, ce qui peut être compliqué étant donné que tous les aspects de la langue sont interconnectés. L’analyse d’une phrase simple produite par un élève nécessite souvent de faire appel à de multiples notions : cinq ou six natures de mots y coexistent, et souvent au moins trois fonctions. Même en se limitant à une grammaire simplifiée, on risque de noyer un élève déjà en difficulté.

 

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Beaucoup d'élèves n'ont pas la maîtrise de la grammaire nécessaire pour analyser une phrase avec la fiche Sherlock.

 

La progression que je privilégie aujourd’hui dans mes cours peut tout à fait être utilisée en classe. Elle s’inspire principalement de deux sources : le travail de Catherine Huby – notamment sa méthode Du mot vers la phrase – et la méthode Simpligram® développée par l’orthophoniste Aurore Ponsonnet, avec qui j’ai suivi une formation il y a quelques mois. Ces deux méthodes suivent le même principe, que Catherine Huby explique fort justement ainsi :

« Dès la première leçon de l’année, les méthodes que nous connaissons présentent aux enfants des phrases entières qu’ils sont bien en peine de maîtriser suffisamment pour pouvoir raisonner à leur sujet. Ici, (…) nous faisons le pari inverse : commencer par la plus petite unité, le mot, pour ne pas décourager ceux de nos élèves qui sont les plus fragiles et pouvoir prendre notre temps en investissant toute l’année scolaire. Cela ne nous empêchera pas d’avoir vu tout le programme d’ici la fin de l’année, ni de satisfaire la curiosité intellectuelle de nos élèves les plus rapides, bien au contraire. C’est juste que nous aurons pris un autre chemin, moins pentu, pour découvrir comment on forme des phrases à partir de mots tout comme l’année dernière, au CP, nous avons découvert comment on formait les mots à partir de lettres. »

Ces principes s’appliquent tout autant chez des élèves plus âgés, bien que chaque étape puisse être plus rapide.

Commencer par le nom

La première chose que je demande à mes élèves pour évaluer leur niveau de grammaire est de repérer les noms communs dans un texte. Cet exercice est loin d’être évident, y compris pour les plus âgés. Je conseillerais donc à tous les enseignants qui constatent que leur classe ont des difficultés en grammaire de commencer par poser ou rappeler, en début d’année, la notion de nom.

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Méthode de Catherine Huby Du mot vers la phrase, illustration de Sophie Borgnet

 

 

Les noms communs sont la catégorie de mot la plus répandue en français, et la plus facile à identifier. De plus, quatre autres natures peuvent être définies à travers leur relation avec les noms communs : les noms propres, les adjectifs, les déterminants et les pronoms.

En explorant la notion de nom, les élèves entrent dans le métalangage, l’observation et l’analyse de la langue. Ils trouvent leurs premiers véritables repères grammaticaux. Cette étape est donc essentielle.

Il existe de nombreuses activités permettant de travailler sur le nom. Une des plus simples est de chercher avec l’élève les noms communs dans son environnement immédiat, puis des exemples de plus en plus abstraits : noms d’animaux, de professions, d’éléments naturels, de concepts… Il est aussi important de vérifier régulièrement avec l’élève que la définition du nom s’applique bien, en rappelant les critères : le nom peut être précédé de « un » ou « une », et il permet de répondre à la question « Qu’est-ce que c’est ? » (ou parfois « Qui est-ce ? »). Cela permet d’ancrer l’idée qu’une nature de mot obéit à un fonctionnement spécifique.

 

Construire le groupe nominal

La possibilité de l’associer à un article faisant partie des critères utilisés pour reconnaître un nom, la transition vers les déterminants se fait assez naturellement. Possessifs, démonstratifs… On peut constater avec l’élève que chacun d’entre eux apporte une nuance de sens différente. Je n’évoque pas les déterminants cardinaux, invariables, pour ne pas créer de confusion. L’objectif est bien ici d’identifier les mots qui s’accordent entre eux.

Enfin, on peut introduire l’adjectif, qui sert à « décrire le nom en un seul mot ». Cette définition est efficace, car elle permet d’éviter la confusion avec les compléments du nom. Si on demande à un élève de décrire une table par exemple, en lui demandant « comment est cette table ? » une réponse récurrente est « cette table est en bois ». On peut alors lui rappeler qu’il a utilisé deux mots, et qu’il ne s’agit donc pas d’un adjectif. Insister sur la relation entre le nom et l’adjectif permettra aussi, par la suite, de distinguer l’adjectif de l’adverbe.

Nous avons donc désormais reconstruit le groupe nominal, que je présente alors en tant que tel aux élèves, en insistant au passage sur le sens de cette expression : il s’agit bien d’un groupe organisé autour d’un nom, et dont tous les éléments s’accordent en fonction du nom. Cette précision est d’autant plus nécessaire qu’ils définissent souvent spontanément le groupe nominal comme « le sujet », une confusion due à l’expression « groupe nominal sujet » utilisée en classe et parfois même abrégée GNS. Rappeler le sens des mots permet de favoriser une compréhension réelle des notions abordées. On réservera avec profit le terme accord à l'accord à l'intérieur du groupe nominal, et on parlera uniquement de conjugaison du verbe.

 

Manipuler et expérimenter pour cimenter la compréhension

Le groupe nominal constitue une unité de sens qui permet à l’élève d’entrer dans la grammaire sans devoir gérer en même temps les natures et les fonctions, en se concentrant uniquement sur la notion d’accord. Encore une fois, la méthode des petits pas s’avère ici efficace. Les premiers concepts posés, l’enfant peut désormais s'emparer de la langue, c’est-à-dire créer ses propres groupes nominaux, et explorer toutes les possibilités que ces trois natures de mots lui ouvrent.

L’introduction d’un matériel de manipulation permet de rendre la grammaire plus concrète. Les options existantes ne répondant pas à mes attentes, j’ai créé le mien, que je présenterai en détail dans un prochain article. Il est constitué de jetons de couleur en carton. À ce stade, je n’utilise que trois types de jetons, extrêmement simples. Le bleu est la couleur des mots qui s’accordent.

 

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Le déterminant, le nom et l’adjectif

 

Je commence par poser ces trois jetons devant l’élève et je lui demande d’inventer un groupe nominal en respectant l’ordre proposé. Une fois cette première étape franchie, on peut proposer d’autres combinaisons (adjectif avant le nom, plusieurs adjectifs, etc.).

L’élève doit ensuite me donner à son tour un « défi », et me donner des contraintes pour que j’invente un groupe nominal. Souvent, son premier réflexe est d’aligner le plus de jetons possible, dans n’importe quel ordre.

 

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Je les prends alors au mot. Par exemple, pour l’exemple ci-dessus, je pourrais dire « avion un rapide supersonique le bateau ». Ensemble, nous nous rendons compte que ce groupe de mots n’a pas de sens. Cela permet de constater que les natures obéissent à des règles : le déterminant est avant le nom, et chaque groupe nominal ne comporte qu’un seul nom, lequel « commande » le genre et le nombre des autres mots. Une de mes mères d’élève a eu cette jolie formule, que j’ai adoptée : le nom est comme la reine des abeilles, il ne peut y en avoir qu’une seule dans la ruche.

L’objectif n’est pas de leur faire mémoriser ces principes par cœur, mais de leur permettre d’accéder à une compréhension plus fine du fonctionnement de la langue en passant par l’expérimentation. De plus, cela évite qu’ils aient ensuite recours à des raccourcis susceptibles de les induire en erreur, du type « l’adjectif est le mot qui vient après le nom ».

Le complément du nom

 Lorsqu’ils sont tout à fait à l’aise avec ces notions, je présente le complément du nom. Cela est l’occasion d’introduire un nouveau jeton, le mot invariable, en noir. Je leur propose d’ajouter une précision à un groupe nominal déjà trouvé en utilisant « à », « en », « de » ou « sans ».

 

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Le bel oiseau à plumes blanches

 

On constate alors qu’il y a deux noms dans le groupe, séparés par un mot de liaison. Cependant, chacun d’entre eux reste le chef de ses adjectifs et de ses déterminants. En analysant l'exemple donné ci-dessus, l'enfant constate qu’il y a bien un seul oiseau, mais plusieurs plumes. Cette notion est compliquée à saisir pour beaucoup d’élèves, et l’élément visuel aide. Il ne faut pas hésiter à multiplier les exemples. Parfois, je place une feuille de papier à la verticale entre les deux noms, pour insister encore plus sur la séparation. Attention toutefois à ne pas affirmer que les mots invariables rompent toujours la chaîne de l’accord, car cela n’est pas exact (des chiens blancs et noirs).

Pour aller plus loin, j’ai créé un petit jeu, Puissance nominale. Il permet à mes élèves de s’entraîner à manier, accorder, et transformer les groupes nominaux. Ce jeu prépare aussi l’entrée dans l’expression écrite en les encourageant à mobiliser leur vocabulaire, et leur imagination. De courtes parties régulières sont très efficaces pour ancrer les compétences – et l’enthousiasme des élèves fait plaisir à voir.

Vous pouvez télécharger Puissance nominale dans les ressources utiles. Je l’utilise généralement en amont du Verbopoly.

 

Hélène Pierson

Cet article est le premier d'une série. Voici les liens pour la deuxième partie et la troisième partie.

 

Sources

 

Daniel Manesse, Pour un enseignement de la grammaire minimal et suffisant

Le blog de Catherine Huby, Bienvenue chez les P'tits

La méthode Du mot vers la phrase est illustrée par Phi

Aurore Ponsonnet, méthode Simpligram®

 

Merci à mon élève Malo, qui a trouvé le nom Puissance nominale !

 

J’ai également été inspirée par de nombreuses discussions avec les graphopédagogues 5E, que je tiens à remercier tout particulièrement pour leurs précieux éclairages.

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